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tout cas, sa fiancée n’est pas assez riche pour qu’il daigne l’épouser. Le père de Thora, comme l’on pense, se fâche et rompt le mariage ; et le père de Magnus, indigné de cette nouvelle folie de son fils aîné, le chasse de chez lui, en lui défendant de reparaître jamais devant ses yeux. — Mais, demandera-t-on, pourquoi Magnus n’invente-t-il pas plutôt quelque autre moyen de faire rompre le mariage, de façon à dégager la jeune fille sans se perdre lui-même ? Pourquoi ne déclare-t-il point, par exemple, tout simplement, qu’il a découvert que Thora lui préférait son frère ? À cette question le roman de M. Hall Caine ne nous offre pas de réponse, non plus qu’à vingt autres que nous ne pouvons nous empêcher de nous poser au cours de l’histoire. Le fait est que Magnus s’en va, renié par son père, et qu’aussitôt son frère Oscar se fiance avec Thora.

Malheureusement, celle-ci a, de son côté, une sœur plus jeune, Helga, qui est par rapport à elle à peu près ce qu’est Oscar par rapport à Magnus : plus séduisante et plus fine, mais tout à fait dénuée de scrupules moraux. A la veille du mariage de sa sœur, elle revient de Copenhague, comme naguère Oscar était revenu d’Oxford : et aussitôt elle attire à elle le beau fiancé, si bien que celui-ci, sans l’intervention de Magnus, serait prêt à délaisser Thora pour épouser sa sœur. Du moins ne se prive-t-il pas de laisser voir à Thora, avant comme après son mariage, qu’une autre femme, désormais, l’a remplacée dans son cœur. Il obtient que Helga accompagne sa sœur dans le voyage de noces ; et, de semaine en semaine, à Paris, à Venise, à Monte-Carlo, la malheureuse Thora est traitée plus cruellement par le misérable mari qu’elle s’obstine à aimer. Enfin lorsqu’un jour, revenue en Islande, elle s’enhardit à prier son mari de rester près d’elle au lieu d’aller, avec Helga, à une fête des environs, sa méchante sœur lui signifie que son mari ne l’aime plus, qu’il ne l’a même jamais aimée, et que l’enfant qui va naître d’elle sera encore, en vérité, l’enfant de Helga plus que le sien : car, jusque dans les bras de sa femme, c’est toujours à Helga qu’ont appartenu tout le cœur d’Oscar et toute sa pensée. De telle sorte que Thora, dans un accès de fièvre, annonce à sa belle-mère qu’elle tuera son enfant, si vraiment elle découvre qu’il ressemble à sa sœur. L’enfant, cependant, ne ressemble qu’à Thora ; et celle-ci, du reste, a tout de suite oublié sa folle menace. Mais Helga l’a entendue, et ne l’a pas oubliée. Elle obtient d’Oscar qu’il enlève l’enfant à sa femme, le jour même de sa naissance, pour le lui confier ; et Thora, désespérée, se relève de son lit pour aller reprendre sa fille. Quelques heures après, on la trouve morte, serrant l’enfant dans ses