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nom du bon sens et de l’expérience contre les belles illusions que risque de faire naître en nous la parabole évangélique. « Ne vous figurez pas qu’en revenant à la maison vous aurez à manger du veau gras ! dit M. Hall Caine aux enfans prodigues. Loin de là, tous les péchés de votre jeunesse vous attendront au foyer familial, chacun accompagné de la sanction qu’il mérite. Ni l’humiliation ni le repentir ne vous serviront de rien : force vous sera de récolter ce que vous aurez semé. Et d’ailleurs il vaut mieux, en bonne justice, que ce soit ainsi. » C’est de cette vérité morale que l’écrivain anglais a résolu de convaincre ses lecteurs : et, sans doute pour y mieux réussir, il a fait de son enfant prodigue un type parfait d’égoïsme, de lâcheté, et de bassesse d’âme, et qui demeure tel longtemps encore après son départ de la maison paternelle, durant la période d’exil où le héros de la parabole nous était montré gardant les pourceaux. Mais, pour « bourgeoise » qu’elle soit, j’imagine que la thèse de M. Hall Caine ne doit guère avoir eu à ses yeux plus d’importance que n’en a eu aux yeux de Mme Thurston, la « thèse subversive » de son John Chilcote ; et il est temps que j’arrive à exposer le sujet de l’Enfant prodigue.


Nous sommes dans l’île d’Islande, où M. Hall Caine a déjà souvent conduit ses lecteurs, mais qui, nous affirme-t-il dès la première ligne, « n’avait encore jamais paru aussi merveilleusement belle » qu’un certain jour d’automne où commence le récit. Le gouverneur de l’Ile a deux fils, Magnus et Oscar : Magnus est lourd, maladroit, sans grâce, mais avec un esprit solide et un cœur excellent ; Oscar est un aimable vaurien, paresseux, menteur, toujours prêt à laisser punir son frère pour les fautes qu’il a commises. Or, pendant que le second fils, sous prétexte d’études, s’amuse et fait des dettes dans une université anglaise, l’aîné, à force d’amour et d’humble dévouement, s’est gagné le cœur d’une charmante jeune fille, Thora, s’est fiancé avec elle, et déjà s’apprête à célébrer ses noces. Tout à coup survient, chassé d’Oxford, l’irrésistible Oscar ; et Thora, dès qu’elle le revoit, n’aime plus que lui ; et lui, sans avoir pour elle un goût bien profond, se met aussitôt en devoir de la séduire. Le pauvre Magnus, le matin même du jour fixé pour la signature du contrat, assiste, caché derrière une roche, à une scène d’amour entre sa fiancée et son frère. Aussitôt, avant même de songer à son propre chagrin, il somme Oscar d’avoir à épouser la jeune fille et à lui être fidèle ; et puis il va trouver le père de Thora, et lui déclare que les termes du contrat ne lui conviennent pas, qu’il veut avoir une dot infiniment plus forte, que d’ailleurs, en