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écouter l’histoire du mariage d’un homme d’étude avec une mondaine. Comment, par quel enchaînement de circonstances, par quel jeu d’illusions ces deux êtres sont-ils amenés à commettre cette folie qui sera le malheur de toute leur vie ? Qu’est-ce qui a pu les attirer l’un vers l’autre et leur faire croire qu’ils s’aimaient ? C’est un cas autour duquel on pouvait faire courir de fines études de sentiment. Et rien n’empêchait que nous ne prissions intérêt à ces deux honnêtes gens qui s’en vont allègrement se mettre l’un à l’autre la corde au cou. Car il faudra voir, la lune de miel passée, le joli ménage !

Voici un homme qui n’est plus tout jeune, puisqu’il est célèbre ; il a, jusqu’à présent, vécu dans ses livres et dans ses expériences scientifiques ; il s’est confiné dans son laboratoire : il s’est gardé de toutes les tentations et de toutes les distractions ; il a jalousement défendu son travail. Il a d’autant plus horreur du monde qu’il s’y sait gauche et gêné. Il craint la femme. Il a, au demeurant, des théories très catégoriques sur l’amour, qu’il considère comme une maladie et contre lequel il a imaginé tout un système de prophylaxie. A l’abri, derrière ses murailles de papier imprimé, il se croit bien tranquille. Or, au premier sourire d’une femme élégante et qui lui arrive avec le prestige de ces mondanités si redoutées, il en perd la tête et devient follement amoureux. Est-ce la soudaine et complète déroute de tous ses principes d’antan ? Essaiera-t-il quelque résistance ? Subira-t-il en maugréant, comme un autre Alceste, la grâce de cette autre Célimène ? Aura-t-il dans son affolement des lueurs de bon sens, et fera-t-il quelque effort pour se ressaisir ? Rien ne l’avertira-t-il qu’il marche à sa perte ; et est-il donc vrai que, quand nous courons à une sottise, nulle voix ne s’élève pour nous crier gare ?

Voici d’autre part une femme qui a vécu au milieu de tous les rites de la vie élégante. Qu’elle attire chez elle un savant illustre, afin de l’exhiber à ses invités et d’orner son salon de cette curiosité, rien de plus ordinaire. Mais qu’elle se prenne de goût pour ce savant, cela devient plus étonnant. Le snobisme a pu faire les premiers frais. Mais le snobisme a-t-il une vertu si grande, qu’il puisse se changer en un sentiment tout voisin de l’amour ? En y songeant, nous trouvons que ce n’est pas si invraisemblable. L’admiration est, dit-on, un des chemins par où l’amour s’insinue. En comparant cet homme aux oisifs dont elle a été jusqu’ici entourée, une femme, qui n’est pas sotte, peut juger qu’il y a une différence énorme et tout à l’avantage du savant. Elle peut être flattée d’avoir été distinguée par cet homme supérieur, fière d’avoir apprivoisé cet ours. Et c’est ainsi qu’on