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foyer et reconstruire son bonheur. Maintenant au contraire, à qui serions-nous près d’en vouloir ? C’est à cette vertueuse Hélène, la seconde femme de Forjot. C’est elle qui, en prenant la place de la déserteuse, a fait de l’irréparable, et définitivement séparé ceux qui devaient être unis. C’est elle qui, par sa seule présence, rend impossible un retour de la fugitive, et impraticable ce meilleur remède aux erreurs humaines : le pardon. Si indélébile est le caractère imprimé par le mariage, que l’épouse, même divorcée, reste l’épouse. Même aux yeux de celle qui l’a remplacée, Gabrielle est toujours Mme Forjot. Et elle est la mère. Quant à la seconde femme, en dépit de son rôle de consolatrice et de réparatrice, c’est elle qui nous paraît être dans une situation fausse et dans une posture fâcheuse.

Cette pièce touche donc à des questions graves et bien d’aujourd’hui ; d’où vient pourtant qu’avec tout son pathétique, elle nous remue médiocrement et qu’à aucun moment, nous ne soyons, comme on dit, pris par les entrailles ? La raison principale en est que l’intérêt est trop dispersé. On nous apitoie sur tous les personnages à la fois ; c’est nous apitoyer sur trop de gens ; c’est demander à notre sensibilité de trop généreuses effusions ; nous n’avons pas le cœur si large. Les auteurs ont manqué de parti pris : ils n’ont pas su donner l’unité à leur drame, un centre à l’action. Il faut, au théâtre, que l’intérêt se concentre sur un personnage, héros ou victime, auquel on nous ramène sans cesse et par rapport à qui tout le drame est ordonné. Que la déserteuse fût elle-même le personnage central, nous n’eussions pas mieux demandé ; mais, depuis le deuxième acte, elle passe au second plan. D’ailleurs son rôle est dessiné de façon assez inconsistante, et son caractère reste énigmatique. Est-elle repentante ? Est-elle endurcie ? A-t-elle regret du passé ? Ou joue-t-elle la comédie de l’attendrissement ? A-t-elle jamais eu sérieusement l’intention de reconquérir sa fille ? Autant de points mal précisés. Il eût été possible de fixer toute notre attention sur le sort fait à Pascaline par le départ de sa mère et le remariage de son père, de montrer que les parens commettent des folies, et ce sont les enfans qui les paient. On l’a dit maintes fois ; mais ce sont de ces vérités qu’on ne saurait trop répéter, ni illustrer par de trop saisissans exemples. Il eût été pareillement possible de donner toute l’importance au rôle d’Hélène, et de l’amener, malgré toute sa bonne volonté et tous ses mérites, à être vaincue par la force des choses. Elle a été dupe d’un mirage. Au moment où elle s’est trouvée en présence d’un homme malheureux et d’une fille abandonnée, elle n’a écouté que sa charité et elle a cru possible de