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tournées Gabrielle de Ruys. Nous y voyons défiler une série de pauvres hères, le peuple misérable des comédiens sans engagement, cependant que des pièces voisines, occupées aux répétitions, chaque porte entr’ouverte laisse passer des bouffées de musiquette ou des bribes de tirades. Mais en vérité, qu’est-ce qu’une jeune fille viendrait faire dans cette galère, où, par un châtiment de la destinée, la déserteuse rame péniblement en compagnie de son amant ?

Aussi au dernier acte, Pascaline revient-elle chez Forjot. Elle y est en quelque sorte ramenée par sa mère, qui désarme, s’humilie, et s’engage à ne plus troubler, elle, la coupable, le calme de ces honnêtes gens. Au surplus, elle va, elle aussi, se remarier. Elle épouse Rametty. C’est l’éloignement définitif. On devient tout à fait des étrangers : on cesse d’être des ennemis. Ainsi va cette pièce, non certes du mouvement le plus rapide, mais tout de même d’une bonne allure. Les auteurs ont fait en sorte de traiter toutes les scènes imposées par la logique des faits ; ils ont mis tour à tour en présence la fille et la mère, la fille et l’institutrice, les deux rivales, le père et ses deux femmes, etc. ; ils leur ont fait dire exactement ce qu’ils avaient à dire : tout ce monde s’explique copieusement. Et c’est un trait de ce genre de théâtre qu’on y est d’une belle intrépidité discoureuse.

Ce qui caractérise encore la comédie larmoyante, c’est que tous les personnages y sont horriblement à plaindre. Le pauvre M. Forjot a commencé par souffrir du fait de la première Mme Forjot, qui le trompait, et dont il feignait d’ignorer l’infidélité, pour éviter le scandale et ménager l’honneur du nom ; il se remarie, et la seconde Mme Forjot est une personne irréprochable ; mais sa mauvaise chance veille et, cette fois, c’est sa fille qui le quitte. L’infortunée Hélène, l’institutrice devenue Mme Forjot seconde, est de ces êtres qui, si loin qu’ils remontent dans leurs souvenirs, ne se rappellent pas qu’ils aient jamais été heureux. Orpheline, sans ressources, elle a dû accepter pour vivre une demi-domesticité. Quand elle a pu croire qu’elle avait enfin un foyer, une famille, ç’a été pour s’entendre adresser les reproches les plus cruels et les plus immérités. On l’accuse d’avoir agi par intérêt, et d’avoir habilement manœuvré avec ses airs modestes et ses yeux baissés. Si on peut dire ! Quant à la déplorable Pascaline, placée entre ces deux femmes, qui l’une et l’autre ont pareillement des titres à son amour et à sa rancune, à sa reconnaissance et à ses reproches, elle est abominablement tiraillée, torturée, suppliciée. Mais croyez-vous par hasard que la « déserteuse » ait trouvé le bonheur dans la faute ? Déclassée, elle mène une vie d’expédiens dans une