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REVUE DRAMATIQUE


ODEON : La Déserteuse, comédie en quatre actes de MM. Brieux et Sigaux. — RENAISSANCE : L’Escalade, comédie en quatre actes et cinq tableaux de M. Maurice Donnay. — VAUDEVILLE : Maman Colibri, comédie en quatre actes de M. Henry Bataille.


Si la comédie larmoyante était bannie de toutes les scènes, elle trouverait un asile à l’Odéon. La pièce de MM. Brieux et Sigaux est un bon spécimen de ce genre qui a une tradition, et qui ne peut manquer d’être fondé en nature, puisque, après plus d’un siècle et demi, il n’a pas complètement cessé de plaire et conserve une sorte de charme suranné. D’un bout à l’autre de la Déserteuse, s’entendent des sanglots mal étouffés et des voix plaintives se font écho ; toute la pièce est enveloppée d’une atmosphère mouillée ; le dialogue, étranglé par l’émotion, est ponctué de soupirs et scandé de gémissemens. Des phrases se répondent : « Vous parlez de votre martyre, croyez-vous que je ne sois pas au supplice ? » — « Si tu savais ce que je souffre ! — Et moi ! etc. » On se lamente, et aussi on discute, on disserte, on philosophe. C’est le genre moral, qui n’est pas nécessairement le genre ennuyeux.

L’auteur ici n’a pas le choix de son milieu. La comédie larmoyante est bourgeoise par essence et par définition, bourgeoise dans l’âme et bourgeoise des pieds à la tête. C’est un signe d’aristocratie que de savoir contenir son émotion : les gens du commun ont le cœur sur la main et pleurent devant tout le monde. MM. Brieux et Sigaux nous introduisent chez des bourgeois de province. M. Forjot est éditeur de musique et marchand de pianos à Nantes : c’est un commerçant, que ses affaires mettent en rapports avec des artistes ; de là viendront tous ses malheurs, car nous savons, depuis le temps des romantiques,