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A dix heures du soir, Pélissier et lord Raglan télégraphiaient à Paris et à Londres qu’ils étaient victorieux sur toute la ligne.

Mais à quel prix ! Si les 25 000 Russes engagés dans cette terrible journée avaient perdu plus de 5 000 hommes, les Français avaient autant de morts et de blessés ; les Anglais, 700[1].

Le lendemain matin, le général de Lavarande, qui avait couché avec sa brigade dans la redoute Wolhynie[2], y eut la tête emportée par un boulet et, à trois heures, le colonel Félix Hardy mourait de sa blessure à l’ambulance, pleuré par ce 86e dont il partageait, depuis cinq ans, la gloire et les périls.


VI. — LA TOUR MALAKOFF

Napoléon III demandait à Pélissier de laisser un corps d’observation devant Sébastopol et de réunir toutes les forces alliées pour livrer bataille sur la Tchernaïa à l’armée de secours du prince Gortchakof. Soutenu par le maréchal Vaillant, son ami, Pélissier s’y refusa et continua à cheminer devant la place en concentrant sur Malakoff son principal effort.

Les soldats, impatiens de venger leur échec, supportaient mal les railleries des tirailleurs russes qui, dans les embuscades, où ils étaient près les uns des autres, leur demandaient s’ils comptaient entrer bientôt dans Sébastopol.

Chouïa ! Chouïa ! leur répondit le caporal Martinet du 86e, un vieux brisquard de Kabylie, qui faisait sa partie de piquet entre deux coups de fusil. Vous nous avez fichu une brûlée, le 18, dans vos satanés boyaux, mais on se reverra en rase campagne, et alors nous vous abattrons quinte, quatorze et le point ! Au revoir !

Une section de voltigeurs du 86e a l’ordre d’occuper, en avant des tranchées de Malakoff, une embuscade russe qu’on croit abandonnée. Le clairon se laisse glisser dans le trou profond de l’embuscade ; les Russes y sont cachés, ils le saisissent, lui ordonnent de se taire, lui mettent la main sur la bouche.

  1. Le 86e avait 4 officiers tués, 8 blessés, dont 4 moururent des suites de leurs blessures, et 249 hommes de troupe hors de combat. Le capitaine Patasson avait été tué à côté du colonel Hardy.
  2. On l’appela la batterie Lavarande ; la lunette Kamtchatka devient la redoute Brancion.