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Canrobert, refusant tout autre poste, avait repris le commandement de sa division de l’Alma.

Cette abnégation, ce sacrifice au bien public, provoquèrent dans tous les camps des alliés une admiration[1] qui eut son écho dans Sébastopol ; mais, comme on avait, dans les deux partis, la même lassitude de ce siège interminable, on espéra que des engagemens décisifs ne tarderaient pas à y mettre fin.


« Devant Sébastopol, 22 mai, 9 heures du matin.

« Le nouveau général en chef prend ses mesures pour attaquer les Russes en Crimée sur cinq ou six points à la fois. Dans

  1. « Les regrets et l’admiration s’élevèrent unanimes sur le compte du glorieux démissionnaire, et l’Histoire sanctionnera ce jugement anticipé, prononcé par la voix du soldat. En ces circonstances difficiles pour l’harmonie de l’alliance anglaise, la conduite du successeur du maréchal de Saint-Arnaud n’est pas un simple trait de patriotisme, mais un acte d’une grandeur antique, capable de déconcerter les détracteurs du temps présent. Les dictateurs de la république romaine, leur mission remplie, résignaient leur pouvoir et regagnaient leur charrue ; le général en chef descendait du premier rang et ne se séparait pas de ses compagnons de victoire. Peut-être un jour, s’il naît un autre Plutarque, nos neveux uniront le nom du divisionnaire Canrobert à celui des Fabricius et lui décerneront, avec justice, la meilleure part de la couronne obsidionale de Sébastopol. En effet, la France lui était redevable de l’armée sans rivale qui allait bientôt graver son immortalité sur les ruines de la forteresse russe. Au milieu de ces conjonctures terribles, de la froide saison où on luttait entre la vie et la mort, il sut la soutenir par son exemple et il ménagea le sang avec une science paternelle, qui promet un genre de gloire, rare dans nos annales. L’illustration du champ de bataille, il l’avait d’ailleurs gagnée en dehors de l’Afrique, à l’Alma et à Inkermann. Ici, il fut blessé, conduisant la charge fameuse qui décida de la journée ; là ; il partagea avec le général Bosquet l’honneur d’avoir sauvé les Anglais et la fortune des alliés. Mais, durant l’hiver, le siège, ouvrait au tacticien la plus aride des carrières. L’offensive était subordonnée à la marche systématique de travaux, indépendans des combinaisons de l’art de la guerre ordinaire. D’autres, peut-être, auraient préféré brusquer la victoire ; or, en cas de réussite, ce coup d’audace n’aurait pas forcé la Russie à la paix, et un revers pouvait compromettre les fruits de la campagne entière. En évitant les écueils de cette alternative, le général Canrobert prépara le triomphe de son successeur. » (Journal humoristique.)