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au ministre de la Guerre pour le grade de général de brigade, et il l’aura, car j’ai appuyé mes propositions par d’excellentes notes. J’ai ajouté que le colonel Hardy commandait, depuis longtemps, avec autant de distinction que d’intelligence et de fermeté le 11e léger, un des, plus solides et des plus beaux régimens de l’armée d’Orient.

Mayran l’a remercié avec effusion et lui a dit, par amitié pour moi, des choses que ma modestie se refuse à répéter.

Je descends ma garde de général de tranchée à l’attaque du Carénage, où j’ai été bien tranquille pendant vingt-quatre heures. Nous y avons reçu quatre-vingts bombes, qui n’ont fait de mal à personne.

Le temps, qui avait été très mauvais depuis trois jours, est redevenu magnifique. J’irai voir mon cher frère demain ; en attendant je t’envoie le petit mot[1] qu’il m’a écrit hier pendant que j’étais à la tranchée. J’ai reçu, en même temps, ton excellente lettre du 28 avril, qui m’a fait un plaisir extrême.

Tu me demandes pourquoi, en présence des dangers continuels que nous courons, nous ne secouons pas de sots préjugés et un vil respect humain pour nous mettre en règle avec Dieu, qui peut nous appeler à lui à tout instant ? Tu as raison de nous blâmer, mon cher ange gardien, mais rien ici ne nous encourage à remplir nos devoirs religieux et personne ne nous y invite. Les aumôniers visitent, de temps en temps, les ambulances ; la plupart disent leur messe dans un petit coin ou en plein air, comme ils peuvent ; mais, à cela près, ils sont à peu près introuvables.

Je prie Dieu avec ferveur, soir et matin, j’entends la messe le dimanche si le service ne s’y oppose pas ; je fais, chaque jour, le vœu sincère de remplir mes devoirs de bon catholique quand je serai rendu à mon pays, à mes affections, aux douces joies

  1. « Dimanche, 13 mai.
    « Cher frère, si je n’avais été forcé d’envoyer mon ordonnance au fourrage à Kamiesch, il t’aurait porté de mes nouvelles et m’aurait donné des tiennes. Je vais de mieux en mieux ; on a supprimé les irrigations d’eau froide, ce qui m’est un grand soulagement. La plaie est une grande étoile à quatre branches, dont deux sont presque fermées. Le trou du milieu a encore une certaine profondeur ; mais tout cela suit son cours normal ; j’en ai encore pour un mois.
    Je sors un peu, par le beau temps, mais seulement devant ma tente et la tête recouverte.
    Je te souhaite bonne garde et prie Dieu qu’il ne t’arrive rien.
    VICTOR »