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« 27 avril.

« J’ai présenté Hardy (Victor) pour colonel. C’est un brave et digne homme ; je le regretterai beaucoup, et je ne sais pas si je serai aussi heureux avec son successeur ; mais il faut aimer les gens pour eux et non pour soi !

Le général en chef nous a dit, en nous remettant une croix et quatre médailles, qu’on lui annonçait l’arrivée de 80 000 hommes[1], et qu’avec ce renfort, on en finirait avec les Russes. Notre siège va son petit bonhomme de chemin, clopin-clopant. On boyaute, c’est-à-dire que, ne pouvant pas faire grand’chose de bon, on fait quelques boyaux de plus pour nous rapprocher de la place. Je crois que les Russes ont des ingénieurs très supérieurs aux nôtres et que nous aurons difficilement un succès décisif dans Sébastopol même. Les difficultés qu’ils rencontrent ici ont mis à l’envers les idées de nos ingénieurs. Dernièrement, ils tuaient neuf sapeurs, dont un capitaine, et mettaient hors de combat une vingtaine d’hommes du 39e, en faisant sauter une mine sans avoir prévenu ceux qui en étaient proches. Le lendemain, la Marine, pour avoir l’air de faire quelque chose, venait lâcher, la nuit, ses bordées, non sur la rade de Sébastopol, mais sur la baie de Strelecka, où sont une partie de nos vaisseaux, et elle envoyait des obus au milieu des chevaux et de l’artillerie de la 3e division du corps de siège. Cela prouve une certaine démoralisation dans les idées ; il faut qu’une tête solide vienne conduire la besogne. Heureusement, le moral de nos soldats est à toute épreuve, et le jour où l’on pourra leur faire joindre les Russes, ils prouveront qu’on ne manque, en France, ni de cœur, ni d’énergie. Nos soldats sont réellement admirables, mais ils voudraient bien voir une fin à leurs dangers et à leurs souffrances. »


La tête solide, tout le monde la connaissait dans la tranchée ; c’était celle du commandant du corps de siège, Pélissier. Il obtint de Canrobert, que paralysait la lenteur flegmatique, irréductible, désespérante, de lord Raglan, d’attaquer les ouvrages de contre-approche du bastion Central.

  1. L’armée de réserve, depuis longtemps annoncée par l’Empereur, qui avait projeté de la conduire lui-même en Crimée, était à Constantinople, prête à embarquer.