Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 24.djvu/41

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

toutes ces figures appuyées sur toutes ces mains s’inclinèrent en signe d’assentiment.

Là-dessus, se rengorgeant encore une fois, le recteur s’adressa aux jeunes gens, sans bienveillance, mais d’un ton plus adouci :

— Messieurs, vous pouvez rentrer chez vous. Vous serez avertis de la suite que prendra cette affaire.

La suite, ce fut une sévère punition à l’agent de police.

Ce petit événement me renseigna, mieux qu’aucun paragraphe du nouveau code, sur l’esprit aristocratique, exactement, sur l’esprit de classe qu’il y a dans la société allemande. Je compris que cette aristocratie est une tradition, fondée sur des usages et des tempéramens, bien plus que sur la lettre de la loi. Il n’est écrit nulle part que l’étudiant relève d’une juridiction spéciale. En fait, cependant, ses petits délits sont d’abord portés au Sénat académique. Le Sénat excuse d’office tout ce qui peut rentrer dans la série des tapages nocturnes et des ivrogneries ; pour le surplus, il peut trouver des échappatoires.


Formés par notre esprit français, qui est égalitaire et qui cherche les solutions simples, les Alsaciens ne s’accommodent point de cette justice qui fait des distinctions ; ils se plaignent que dans la loi allemande il y ait toujours place pour l’arbitraire.

Qu’ils croient voir de l’arbitraire, cela déjà peut les gâter. Mais je crains davantage la nécessité pour eux d’être hypocrites. Je ne blâme pas la manière dont ces jeunes Alsaciens ont esquivé les conséquences de la bataille des Variétés ; je préférerais, toutefois, que leurs beaux instincts de soldats ne fussent pas nécessairement mêlés d’habileté.

La responsabilité de cette diminution morale n’incombe pas aux Alsaciens, mais tout entière aux circonstances où ils vivent depuis trente-trois ans. Ils subissent des institutions mal appropriées à leur degré de civilisation. — Excellente peut-être au-delà du Rhin, telle volonté du nouveau Gode sera corruptrice en deçà. Par exemple, une vente d’immeubles, aujourd’hui, en Alsace-Lorraine, doit être passée en justice ou devant notaire pour être valable. Au contraire, selon la loi française, elle vaut dès que les parties sont d’accord sur la chose et sur le prix, et cet accord peut être prouvé par des témoins, par des lettres privées et par le serment. La légalité française se fonde sur l’honnêteté des parties. Mais devant le tribunal allemand aucun