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régime nouveau, à persuader aux municipalités, par exemple, qu’elles n’avaient aucun droit de s’ingérer dans la conduite des prêtres en tant qu’exerçant leur ministère ou dans la question des taxes imposées par eux pour les frais du culte ? Il était urgent de porter un remède efficace à une situation aussi embarrassante : de nombreux moines fugitifs se pressaient à Manille sous la protection des fusils américains, tandis qu’au camp des insurgés, quelques membres du clergé indigène, sous la direction de l’un d’eux, Aglipay, qui se proclamait archevêque, organisaient un simulacre d’église nationale.

Le clergé philippin, trop peu nombreux et trop peu instruit, ne pouvait remplacer sans transition les religieux, et quant à l’église américaine, elle n’avait pas assez de prêtres pour subvenir aux besoins de la nouvelle colonie des Etats-Unis. Les Américains se trouvaient là en présence d’un de ces cas infiniment complexes où ni leur bonne volonté, ni leur désir de pacification, ni leur esprit de justice, ne pouvaient suffire à procurer la solution nécessaire : étant juges et partie, ils seraient toujours accusés de partialité ; dans l’intérêt de la pacification et dans l’intérêt de l’avenir de leur puissance aux Philippines, il fallait, pour que la solution fût respectée et durable, qu’elle émanât d’un pouvoir indépendant dont l’autorité fût assez forte et assez respectée pour trancher au besoin dans le vif et amener une entente au prix de mutuelles concessions. Dans ces conjonctures, le gouvernement de Washington se tourna vers le seul pouvoir qui eût le droit d’imposer sa volonté aux religieux espagnols : confiant dans la sagesse politique du pape Léon XIII et du cardinal Rampolla, il entama des négociations avec le Saint-Siège.

Au mois de mai 1902, M. Taft partit pour Rome, muni des instructions du président Roosevelt et du secrétaire du War-Office, M. Élihu Root, et accompagnéde Mgr Thomas O’Gorman, l’éminent évoque de Sioux-Falls, de M. James F. Smith, juge de la Cour suprême de Manille, et du major John Biddle Porter. La composition de la mission, confiée au gouverneur des Philippines lui-même, prouvait toute l’importance que le gouvernement de Washington attachait à une prompte solution. Les négociations furent courtes : les Américains les conduisirent avec la rondeur d’hommes d’affaires habitués à aller droit au but et peu accoutumés au subtil manège des diplomates