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démontrant que la prospérité du peuple philippin importait à l’accroissement du commerce américain ; une colonie riche et prospère sera, pour les exportations métropolitaines, un excellent débouché ; l’intérêt américain bien compris se confond finalement avec l’intérêt des indigènes. Cette résistance de quelques hommes d’État, au nom de l’intérêt public et du respect d’un peuple conquis, aux obsessions de la presse et à la pression des capitalistes, c’est là, dans notre siècle de gouvernement parlementaire, un trait trop rare pour que nous ne le signalions pas à l’honneur du gouverneur M. Taft et de ceux qui l’ont soutenu, le secrétaire d’Etat à la Guerre et le président. Il était curieux, d’autre part, de comparer la politique que les Américains ont adoptée aux Philippines, dans l’intérêt des Philippins, avec celle que les Anglais ont pratiquée dans les États malais de la presqu’île de Malacca, qui sont en train de devenir des colonies chinoises, et aux pratiques qu’ils viennent d’introduire dans l’Afrique du Sud pour le plus grand profit des actionnaires de mines d’or.


IV

De trois siècles de domination espagnole, s’il n’était resté aux Philippins que le christianisme profondément incrusté dans sept millions d’âmes, cela suffirait, au jugement de M. Taft, pour qu’on ne puisse pas accuser l’Espagne de n’avoir rien fait pour la civilisation et pour le progrès de ses sujets insulaires. « Comparez, je vous prie, écrit M. Taft, les Philippins aux Malais et aux autres peuples de l’Orient et citez-m’en un qui offre plus qu’eux d’élémens favorables pour un développement tel que l’entendent les Américains. Pour commencer, ils sont chrétiens et ils le sont depuis trois cents ans. On ne peut m’accuser de partialité envers les moines et le gouvernement espagnol, mais je tiens à reconnaître pleinement la dette que les Philippins et le monde ont contractée envers ceux qui ont évangélisé sept millions de Malais et qui ont christianisé, modernisé leur idéal. Leur christianisme, il est vrai, paraît différer un peu du christianisme d’Europe ou d’Amérique ; mais ce peuple tout préparé à subir une influence régénératrice, à recevoir l’éducation et tout ce qui accompagne la civilisation, n’en a pas moins des siècles d’avance sur les Mahométans et les Bouddhistes. Le Mahométan, le Bouddhiste, le Chinois, contemple, avec un air de supériorité,