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languissent et meurent par centaines ; elles soutiennent le courage des insurgés, et c’est d’un revirement politique, plus encore que de leurs propres efforts, qu’ils attendent l’indépendance. Ainsi, comme l’a, dit fortement M. Roosevelt, « les braves gens qui suivent le drapeau durent payer de leur sang le ridicule humanitarisme des bavards qui restent paisiblement chez eux. »

Le programme de l’opposition était de laisser les Philippins maîtres de disposer de leurs destinées. Au Sénat, la minorité démocrate de la commission demandait la convocation, dans le délai d’un an après l’adoption de la loi par le Congrès, d’une convention constituante, élue par tous les indigènes sachant lire et écrire. La minorité de la Chambre proposait plus simplement l’établissement d’un gouvernement national, qui resterait, pendant un délai fixé d’avance à six ou sept ans, sous la surveillance des Américains et qui deviendrait ensuite complètement autonome. À ces projets d’une générosité facile, les républicains répondaient par des argumens de fait. D’accord avec leurs adversaires sur les principes, ils en entendaient autrement l’application. M. Taft, dans un article, a résumé les raisons qui guidaient sa politique et celles qui rendaient impraticable le projet du parti « populiste. » Il y fait remarquer d’abord que « le parti fédéral philippin, qui seul représente l’opinion publique, ne demande pas l’indépendance, mais cherche bien plutôt l’annexion aux États-Unis avec l’espoir de devenir un État de l’Union… En second lieu, il n’y a pas d’espoir de voir les Philippins chrétiens capables de se gouverner eux-mêmes avant deux générations. Dix pour cent parlent l’espagnol ; le reste est d’une ignorance notoire, superstitieux, facile à conduire et à tromper. Les plus logiques raisonnemens s’écroulent, les projets les plus humanitaires s’évanouissent devant l’ignorance de la population chrétienne, le caractère spécial de la population maure de Mindanao et de Jolo et l’état à demi sauvage des négritos des montagnes. Même de fixer d’avance la date où sera accordée la pleine indépendance serait dangereux : une telle promesse serait interprétée comme une faiblesse et ne servirait qu’à encourager la rébellion en provoquant des impatiences. » Sans se lier les mains pour l’avenir, la meilleure politique est, pour le moment, conclut M. Taft, de donner aux indigènes chrétiens un gouvernement fort et stable, en les admettant à y participer à mesure qu’ils