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dans le texte anglais, au mot dominion, une discussion où la raison du plus fort resta la meilleure.

Aux Philippines, ce furent des argumens de même nature qui tranchèrent le différend. Proclamé chef du gouvernement provisoire, Aguinaldo tenta d’obtenir du président de l’Union la reconnaissance de la République des Philippines ; mais, à Washington, on était d’avis que ce qui est bon à prendre est bon à garder ; M. Mac-Kinley refusa de reconnaître aucun caractère officiel à l’envoyé d’Aguinaldo ; le général Otis, dans sa proclamation du 4 janvier 1899, coupa les ponts et rendit tout accord impossible en déclarant aux insurgés qu’ils devaient avant tout se soumettre à la souveraineté américaine. Les hostilités commencèrent presque aussitôt (4 février). En face des Américains allait se dresser un ennemi plus redoutable que les Espagnols énervés par le climat des tropiques : les principales tribus de l’île de Luçon se levaient à la voix d’Aguinaldo et sur le mot d’ordre des sociétés secrètes ; elles allaient commencer cette guerre de guérillas qui a coûté si cher à l’impérialisme américain. Ainsi se manifestaient au grand jour les ambitions conquérantes qui, sous les dehors de l’humanité et de la justice, avaient poussé les Américains à cette guerre ; commencée au nom de l’indépendance des peuples opprimés, elle aboutissait sans transition à une lutte implacable entre les libérateurs et les libérés.

Si peut-être les Tagals éprouvèrent quelque déception d’un pareil résultat, ils furent sans doute les seuls à s’en étonner et à s’en émouvoir : le monde a appris, par une vieille expérience, quels intérêts et quelles passions couvre trop souvent le pavillon humanitaire, et comment finissent par des annexions les guerres entreprises au nom du droit et de la justice. Ce n’est pas à dire, d’ailleurs, qu’il y ait eu, chez les Américains, mauvaise foi ou duplicité : on se persuade aisément de ce que l’on a intérêt à croire, et c’est par un travail presque inconscient des esprits que se forment et que se précisent les idées et les doctrines destinées à justifier, devant les contemporains et devant l’histoire, ce que peut avoir de brutalement égoïste une guerre suivie d’une conquête. Mis en présence de l’alternative ou de substituer son autorité à celle de l’Espagne et d’affronter, contre ceux qui rejetteraient la domination américaine comme ils avaient rejeté le joug espagnol, une guerre qui ne pouvait manquer d’être longue, coûteuse et difficile, ou d’abandonner l’archipel aux