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face des côtes de Chine, et les rendit suzerains de plus de huit millions d’indigènes philippins.

Au moment où les grandes affaires et les grands conflits se transportent en Extrême-Orient, sur cette Méditerranée du Pacifique qui baigne les côtes de la Chine et du Japon, de la Corée et de Bornéo, de l’Indo-Chine française et des Philippines, il n’est pas indifférent que la première puissance industrielle du monde y ait acquis, si l’on ose dire, un pied-à-terre, et il est significatif que, pour s’y installer, elle en ait précisément délogé l’Espagne. Mais ces conséquences de l’occupation des Philippines dans le domaine de la politique générale, nous avons eu déjà l’occasion de les signaler en montrant ici les origines et l’importance extrême de La lutte pour le Pacifique[1] ; nous n’y insisterons pas aujourd’hui ; notre ambition plus restreinte ne nous conduira pas en dehors des Philippines elles-mêmes. Là, sur ce sol surchauffé, où le sang des races semble bouillir sous l’action du feu souterrain qui jadis fit jaillir l’archipel du sein de l’Océan et qui, de temps à autre, par de brutales secousses, lui rappelle son origine, nous verrons les Américains aux prises avec ces problèmes si complexes et, pour eux, si nouveaux, que comporte la colonisation. Aux Philippines, la situation délicate que crée toujours la superposition de deux peuples appelés, par la loi de la conquête, à vivre sur le même sol, se complique encore d’autres élémens : d’abord, les indigènes appartiennent à plusieurs races et à plusieurs religions ; ensuite l’archipel a connu, longtemps avant la venue des Américains, la civilisation européenne et chrétienne ; avant eux y a régné, durant des siècles, le peuple qui fut le premier explorateur du Grand Océan et le premier conquérant des pays d’outre-mer, l’Espagnol : il y a appliqué ses méthodes, il y a marqué fortement son empreinte. Tandis que, par exemple, les Français, au Tonkin, sont en présence de populations qui ont gardé leur civilisation originale, ici les Américains trouvent quelques tribus païennes ou musulmanes, restées indépendantes et fidèles à leurs anciennes coutumes, et d’autres, en bien plus grand nombre, qui sont européanisées, christianisées, et qui aspirent à se gouverner elles-mêmes et à constituer une nation.

Grandis très vite, par leur propre énergie, jusqu’à devenir

  1. Voyez la Revue du 15 février 1904.