Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 24.djvu/374

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


L’EXTASE


L’âme de soirs anciens hante ce triste soir
Où pleurent vaguement tant de choses. La brise
S’imprègne d’harmonie et de baumes se grise,
Et le jardin candide est un tiède encensoir.

Le soleil, comme un prêtre au pied d’un reposoir,
Effeuille des clartés dont la chute s’irise.
Il erre je ne sais quelle peine incomprise,
Et tout est d’une grâce attendrissante à voir.

Une abeille s’attarde autour des grappes mûres.
D’irréelles lueurs et d’indistincts murmures
Éternisent la mort du jour pâle et subtil ;

Mais je sens bien, malgré les caresses de l’heure,
Car le cher souvenir d’un autre ciel m’effleure,
Que le Rêve et l’Amour sont des frères d’exil.


SOIR DE JUIN


Le jour se meurt dans une atmosphère sereine
D’une limpidité transparente. Inondant
De fragiles reflets de pourpre l’Occident,
Une rouge lueur agonise et se traîne.

Le peuplier murmure un secret triste au frêne.
Des souffles embaumés s’exhalent, et, pendant
Que gagne le silence au ciel encore ardent,
L’Astre tombé fait place à l’Ombre souveraine.

Oh ! quelque part, non loin peut-être, émue à tant
De mystique douceur, une âme tendre attend
Le frisson éperdu qui déjà me pénètre ;

Et, sachant que l’amour qu’on rêve est seul divin.
Et que, hors la souffrance, ici-bas tout est vain,
Extasiés, nous nous aimons sans nous connaître.