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sœur de celui-ci, la princesse Cunégonde. Assurée de leur affectueuse complicité, Madame Royale, pour la première fois depuis son départ de Paris, put écrire au Roi une lettre que la princesse Cunégonde se chargea de faire parvenir à Vérone.

« Sire, j’attends avec impatience les ordres que mon Roi et mon oncle voudra me donner sur ma conduite future[1]. Je désirerais extrêmement d’être dans vos bras, et de pouvoir vous dire combien je vous aime et l’attachement que j’ai pour vous, qui ne changera jamais. Je vais à Vienne où je montrerai à l’Empereur toute la reconnaissance que je lui dois pour le service qu’il m’a rendu en me donnant ma liberté. Mais j’assure mon oncle que quelque chose qui arrive, jamais je ne disposerai de mon sort sans vous en avertir et avoir votre consentement, et comptez sur votre nièce qui, comme son père, aimera toujours les Français et sa famille.

« Je demande pardon à mon oncle pour les Français égarés et je le prie de leur pardonner, et j’apporte à ses pieds les vœux et le respect de tous les bons Français.

« J’ai vu ce soir à Füessen l’électeur de Trêves, mon oncle, et la princesse Cunégonde, sa sœur. Cette dernière m’ayant surtout témoigné beaucoup d’amitié, je l’ai priée de vouloir bien faire rendre cette lettre à Votre Majesté, me méfiant de toutes les personnes qui sont près de moi. Mme de Soucy me prie de présenter son profond respect aux pieds de son Roi. Elle est ici près de moi. J’arriverai à Vienne le 3 janvier, où j’attendrai les ordres de mon oncle ; je le prie de compter sur mon attachement. — MARIE-THERESE-CHARLOTTE DE FRANCE. »

En recevant cet acte de soumission où Madame Royale n’avait pu faire allusion à des projets qu’elle ignorait encore, le Roi qui l’en supposait instruite fut aussi déçu qu’étonné. Il eut cependant l’esprit de n’en rien laisser voir et de feindre dans sa réponse de mettre le silence de la princesse au compte de sa timidité.

« Votre fermeté m’enchante, lui mandait-il ; je ne m’y méprends pas, je vois bien que votre modestie, qualité bien louable, vous empêche de vous expliquer tout à fait sur un article bien intéressant et je ne vous cache pas que je vais faire passer une

  1. Le début de cette lettre est d’une importance capitale dans la question Louis XVII. Il prouve que, contrairement aux assertions des partisans de la survivance du petit roi, Madame Royale, en quittant la France, était convaincue de la mort de son frère.