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même mois. En la transmettant au Roi par l’intermédiaire de Hue, Mme de Tourzel racontait que toujours surveillée, Madame Royale « avait eu bien de la peine à l’écrire. » Elle suppliait Sa Majesté de brûler ces missives après les avoir lues. « Il y va de ma vie et peut-être de la liberté de Madame Royale si l’on parvient à découvrir qu’elle a écrit… Je l’ai trouvée grandie, bien portante, pleine de noblesse et de dignité. » Hue ajoutait : « Le cœur bon et sensible de Votre Majesté jugera beaucoup mieux que je ne le lui peindrais ce que cette douce réunion a offert de touchant. Je lui dirai seulement que Madame Royale qui connaît toutes ses pertes les supporte avec un courage et une énergie dignes du sang de son auguste famille. »

Quant à la jeune princesse, elle avait tracé en hâte et fiévreusement ces quelques lignes :

« Mon cher oncle, je suis on ne peut pas plus touchée des sentimens que vous daignez marquer à une malheureuse orpheline en voulant l’adopter pour fille. Le premier moment de joie que je goûte depuis trois ans est celui où vous m’assurez de votre bienveillance. Je vous aime toujours bien et désire pouvoir un jour vous assurer de vive voix de ma reconnaissance et de mon amitié pour vous. Je suis bien inquiète de votre santé et de savoir ce que vous devenez depuis trois ans que je n’ai eu le bonheur de vous voir. J’espère que vous vous portez bien. Je le demande tous les jours au ciel ainsi que de prolonger tous vos jours afin que vous puissiez être heureux, ce qui n’arrivera peut-être que dans longtemps. Adieu, je vous prie d’être persuadé que quelque chose qui arrive, jusqu’à mon dernier soupir, je vous serai attachée. — MARIE-THERESE-CHARLOTTE[1]. »

Cette lettre en arrivant à Vérone fut pour le monarque proscrit un rayon de lumière réchauffante. La fille de son frère avait toujours été sa préférée. Il parlait souvent d’elle ; il aimait à rappeler qu’au cours des cruelles épreuves qui avaient assombri déjà sa jeunesse, elle s’était toujours montrée digne d’admiration par son intrépidité devant tous les périls, par sa résignation devant le malheur et surtout par l’ingéniosité de la tendresse qu’elle prodiguait à ses parens durant les heures les plus affreuses, comme si elle eût voulu leur en adoucir l’amertume.

  1. Il n’est fait mention d’aucune de ces lettres dans les Mémoires de la duchesse de Tourzel. Je rappelle d’ailleurs une fois pour toutes qu’à de très rares exceptions près, les documens qui figurent dans ce récit sont inédits.