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plus humains. Elle pouvait recevoir quelques visites sous la surveillance de ses gardiens ; elle était mieux nourrie, on lui confectionnait un trousseau[1] en vue de son prochain départ et on lui avait donné pour égayer sa solitude une compagne aimable et distinguée, Mme de Chanterenne, personne de condition, qui promptement avait gagné sa confiance.

Parmi ces lettres, il y en avait une de la marquise, plus tard duchesse de Tourzel, ancienne gouvernante des Enfans de France, incarcérée avec sa fille pendant la Terreur et délivrée après la chute de Robespierre ; une autre de Hue, longtemps au service du Dauphin, en qualité de premier valet de chambre. Tous deux avaient été autorisés à voir Madame Royale et offraient leurs bons offices pour lui communiquer les messages que le Roi désirerait lui faire parvenir. L’occasion était propice autant qu’inespérée. Louis XVIII s’empressa d’en profiter. Le 8 juillet, il envoyait à la duchesse de Tourzel, par la voie de ses agens de Paris, une lettre en chiffres pour être remise à Madame Royale après qu’ils l’auraient déchiffrée. A Vérone, dans l’entourage du Roi, le comte d’Avaray fut le seul à en recevoir communication. C’est lui, du reste, qui eut mission de l’expédier.

« Je hasarde cette lettre, ma chère nièce, sans savoir si elle pourra vous parvenir ; mais ma tendresse pour vous ne peut plus se taire dans un moment aussi cruel. Rien ne peut réparer les affreuses pertes que nous avons faites ; mais permettez-moi d’essayer d’en adoucir l’amertume. Regardez-moi, je vous en conjure, comme votre père et soyez bien sûre que je vous aime et vous aimerai toujours aussi tendrement que si vous étiez ma propre fille. Si ceux qui vous feront arriver cette lettre vous donnent en même temps les moyens d’y répondre avec sûreté, je serai ravi d’apprendre que votre cœur accepte les offres du mien. Mais, au nom de Dieu, point d’imprudence et songez bien que votre sûreté est bien préférable à ma satisfaction. Adieu, ma chère nièce, je vous aime et vous embrasse de tout mon cœur. »

La réponse ne se fit pas attendre. On la reçut à Vérone le 18 septembre. Elle était datée de la Tour du Temple le 5 du

  1. « Le trousseau de Madame Royale est fait ; il est vraiment magnifique, sans être riche par les diamans et l’or. Mais les dentelles, les toiles et les étoffes ont été prises par ce qu’il y a de plus beau. » — Lettre sans signature, écrite de Paris, le 11 avril 1795, et envoyée à Vérone par un agent de Turin.