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Mais il ne répondit pas. D’Avaray ne suivit pas cet exemple. Devant les impertinences et les railleries dont, au milieu d’amabilités propres à lui rappeler le passé, était émaillée la missive qu’il avait reçue, il n’eut pas le courage du silence. Il répondit :

« J’ai reçu, Madame la Comtesse, le billet en date du 18 juin que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire. J’y ai retrouvé les traces d’une amitié que mon cœur a toujours cherché à cultiver et dont ce billet seul m’eût rappelé les charmes et attesté l’existence. J’y réponds aussi promptement que vous me témoignez le désirer, et cela par une marque de confiance à laquelle vous serez sensible. Jetez donc les yeux, je vous supplie, sur le sceau de ma lettre, et si le trajet n’en a pas effacé l’empreinte, vous verrez l’éclat dont le Roi vient de le couvrir. Autour de l’écusson de France, vous trouverez cette simple légende : 21 juin 1791, souvenir bien précieux pour vous et pour moi, et que les bontés de la sensibilité du Roi veulent faire passer aux races futures. »

Si l’on se souvient qu’à Coblentz, Monsieur ayant offert une épée à son libérateur, Mme de Balbi l’avait détourné d’y mettre une devise, on pensera que la lettre qu’on vient de lire dut être pénible à l’ancienne favorite. Ce fut d’ailleurs l’unique vengeance de d’Avaray. Elle porta coup, et Mme de Balbi se reconnaissant vaincue cessa de solliciter. Telles furent les circonstances qui, en précipitant la disgrâce de la favorite[1], permirent à

  1. Cette disgrâce ne devait jamais prendre fin. On a vu qu’en renvoyant Mme de Balbi, le Roi lui avait maintenu sa pension qui était de 2 400 livres par mois. Mais, ses embarras financiers, non moins que la conduite inconsidérée de l’ex-favorite, le décidèrent bientôt à supprimer ce subside. Cependant, vers la fin de 1800, il lui accordait un « léger secours » pour l’aider à payer ses dettes. Mais il refusait de rétablir un traitement fixe. Elle lui écrivit de Londres une lettre éplorée, faisant appel à d’anciens souvenirs et avouant que si le duc de Glocester, frère du roi d’Angleterre « qui l’honore de son amitié » ne lui avait fait accepter cent vingt-cinq louis, elle n’aurait pu songer à passer en France où l’appelaient ses affaires. Elle suppliait le Roi de la mettre au moins à même de rembourser ce prêt. En renvoyant cette lettre à d’Avaray, le Roi écrit par la Cassette : « Est-ce que si mon ami était à la place de Mme de B***, il faufilerait à cet excès ? J’ai bien envie de laisser à Son Altesse Royale le duc de Glocester le bénéfice entier de sa bonne œuvre. » Le prince anglais fut cependant remboursé. Mais l’ancien traitement de Mme de Balbi ne fut pas rétabli.
    Rentrée en France sous le Consulat, elle s’agita et commit tant d’imprudences qu’elle fut arrêtée comme royaliste, incarcérée au Temple et internée ensuite à Montauban où elle se fixa. Elle y mourut oubliée en 1832, tenancière d’une maison de jeu. Sous la Restauration, elle avait essayé de rentrer en grâce, et Louis XVIII avait refusé de la revoir. Mais il lui avait accordé une pension annuelle de 12 000 francs sur sa cassette. — Registres de la maison du Roi. — Archives nationales.