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l’avait toujours environné de trop d’égards pour qu’il fût possible de ne pas l’avertir de la rupture définitive. D’Avaray alla la lui faire connaître. Jaucourt s’émut cette fois ; il se récria sur Tin-justice de traiter avec autant de sévérité une amie aussi ancienne, aussi dévouée et manifestement calomniée par ses ennemis. Il courut chez Monsieur. « Qu’on se figure le prince d’un côté, le vieil amant de l’autre, ayant à s’expliquer sur un intérêt qui leur était aussi commun et sur lequel ils avaient à se prononcer d’une manière si différente ! » Il semblait que l’explication dût être orageuse et Monsieur s’y attendait autant que d’Avaray qui, resté à la porte, « séchait d’impatience. » Il n’en fut rien. Soit que Jaucourt en voyant la figure renversée de Monsieur eût pris le parti de ne pas ajouter à ses peines, soit qu’il devinât qu’il ne fléchirait pas sa décision, il se contenta de dire :

— Allons donc, Monseigneur, faut-il s’affecter autant ? C’est une femme, après tout ; il suffira de ne pas la laisser manquer.

Et il changea de conversation. D’Avaray avoue que Monsieur et lui furent pétrifiés.

Le comte d’Hautefort partit le lendemain pour aller au-devant de Mme de Balbi qu’on supposait déjà en route. Il voyagea sans la rencontrer jusqu’à La Haye, où il la trouva, ayant changé d’avis et renoncé à sa course à Vérone. Après avoir lu la lettre de Monsieur, elle partit pour Londres et, de là, la lui renvoya, par la voie du duc d’Harcourt, avec ces seuls mots : « Sûrement cette lettre ne vient pas de vous. » Monsieur se contenta de la retourner au duc avec l’ordre de la remettre en mains propres et de dire à la destinataire que celles qu’elle écrirait encore seraient jetées au feu.

Durant plusieurs mois, elle garda le silence. Puis, au moment où la mort de Louis XVII faisait passer la couronne sur la tête de Monsieur, elle lui écrivit, ainsi qu’à d’Avaray. Au nouveau roi et comme pour lui prouver qu’en Angleterre, le public s’était déclaré pour elle, elle donnait « une longue kyrielle des grands personnages qui, dans l’état de dépérissement où elle se trouvait, ne quittaient plus sa chambre. » Le Roi s’amusa de cette lettre vaniteuse et fredonna :


Je faufile avec ducs,
Archiducs,
Princes, seigneurs, marquis
Et tout ce que la Cour compte de plus exquis.