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jamais sur celui de mon maître. » Il tergiversait toutefois, se bornant à s’étonner devant Monsieur tantôt des retards apportés par Mme de Balbi dans la correspondance, tantôt de ses liaisons et de ses habitudes avec le comte de P…, tantôt enfin qu’une lettre qu’elle donnait comme sienne eût été écrite par une main étrangère, remarques que le prince écoutait surpris, mais qui ne lui ouvraient pas les yeux. Embarrassé pour pousser plus loin ses révélations, d’Avaray en cherchait encore le moyen, lorsque à l’improviste Mme de Balbi vint le lui fournir par une lettre datée de La Haye.

« Nous étions tous réunis, le comte Charles de Damas, le comte de Cossé, le comte d’Hautefort, le baron de Flaschlanden, le marquis de Jaucourt et moi. M. le Régent, après avoir lu la lettre, me la glisse dans la main d’un air assez altéré. Quelle est ma surprise et mon indignation lorsque je vois que Mme de Balbi est en route pour arriver ! Les médecins lui ordonnaient l’air d’Italie ; après avoir passé trois semaines ou un mois à Vérone, elle ne savait pas bien où elle irait s’établir. Le sang me bouillant aussitôt dans les veines, je lis et relis cette lettre pour me convaincre et, à la fois, prendre le temps de composer mon visage. Je la rends à Monsieur en lui serrant la main et après m’être promené dans la chambre d’une manière sûrement trop signifiante, je passe dans son cabinet.

« Il m’y suit et presque aussitôt me dit :

« — Mon ami, au nom de Dieu, calmez-vous.

« — Me calmer en voyant pareille impudence, lui dis-je.

« Et je m’expliquai sans aucun détour.

« — C’est une indignité. Elle prétend donc faire de vous un manteau ou plutôt, ne vous ayant donné jusqu’à présent que la moitié de sa honte, elle vient vous l’apporter tout entière.. Cette infamie ne s’accomplira pas, ou du moins je n’en serai pas le témoin. Ah ! mon cher maître, ajoutai-je, pardon de mon audace ; je suis hors de moi. Est-ce donc là ce que vous appelez une amie ? Voilà donc la récompense de vingt années d’affection ! Au moment où tout vous accable, où le dernier de vos ennemis, le plus faible de vos alliés, où votre parti même se plaît à ruiner votre considération, une femme perdue, la fable de l’Europe insulte à vos malheurs et vient souiller votre retraite ! Non, vos serviteurs ne le supporteraient pas. Je île sais le parti que prendront ces messieurs. Mais, écoutez le serment que je fais : si