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le nouvel Hippolyte d’une nouvelle Phèdre de quarante ans, usée par la fatigue, les veilles, le jeu et une atteinte cruelle que lui avait autrefois portée l’hymen. »

Cette intrigue poursuivie dans l’ombre n’avait pas duré ; l’amant vite lassé avait abandonné sa maîtresse sans éclat ni scandale et celle-ci, résignée en apparence seulement, ne renonçant pas à le reconquérir, mais allant au plus pressé qui consistait à ne pas perdre l’affection de Monsieur, était partie pour Aix-la-Chapelle afin d’y préparer son retour auprès de lui. C’était quelques mois après la mort de Louis XVI. Monsieur s’étant déclaré régent du royaume s’apprêtait à quitter Hamm pour se rendre à Toulon dont les Anglais et les Espagnols venaient de s’emparer et d’où il espérait, grâce à eux, porter secours aux Lyonnais alors en révolte contre la Convention.

Au reçu de la lettre de Mme de Balbi annonçant qu’elle désirait le revoir, il la communiqua à d’Avaray. Ignorant ce qui s’était passé à Bruxelles, trompé par les apparences sur les sentimens véritables de la favorite pour lui, d’Avaray, spontanément, offrit de l’aller chercher à Aix-la-Chapelle. Monsieur ayant accepté son offre, il la ramena. Elle passa à Hamm la semaine qui précéda le départ du Régent « et nous nous quittâmes en apparence fort contens l’un de l’autre. » Mais les sottises et les imprudences de Mme de Balbi allaient détruire bientôt cette heureuse harmonie et, du même coup, divulguer le secret de sa conduite scandaleuse.

Arrêté à Livourne par les malheurs de Lyon et de Toulon, qui lui fermaient les portes de la France, le Régent, après un court séjour à Turin, s’était, en juin 1794, fixé à Vérone « lorsque, à travers les gémissemens et les cris de douleur des victimes du féroce Robespierre, » arriva dans cette ville l’écho des folies de Mme de Balbi. Elle était à Bruxelles plus jeune et plus gaie qu’à vingt ans ; elle poursuivait son infidèle « et, ne pouvant l’obtenir de gré, elle semblait résolue à le conquérir de force. Celui-ci, lassé d’une poursuite importune, s’était décidé à s’en défaire par un moyen doux, et la chose en était venue au point qu’en dépit du mystère et de la mode[1], le secret était celui de tous au bout de quatre mois. »

  1. « Les femmes, à cette époque, se faisaient un ventre quand la nature et les circonstances ne les en avaient pas pourvues. » — Annotation de la main de d’Avaray sur son manuscrit.