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s’embrasser. Mais la réconciliation ne fut qu’apparente. La favorite n’était pas femme à pardonner à celui qui l’avait mise dans son tort. Elle feignit cependant d’avoir tout oublié et d’Avaray qu’elle accablait de bons procédés, aussi affectueuse que par le passé et aussi confiante, fut longtemps sans voir que cette bienveillance jouée cachait des intentions perfides.

S’il faut en croire son récit, Mme de Balbi aidée par le marquis de Jaucourt, familier des princes, qui passait pour avoir été jadis le premier complice de ses infidélités conjugales et qu’elle avait immolé comme amant tout en le gardant comme ami, pour donner sa place à Monsieur, aurait alors tenté de miner sourdement le favori. Tantôt de près, tantôt de loin, dans ses lettres comme dans ses paroles, elle l’aurait attaqué jusque dans le cœur du maître « avec toutes les armes dont un ascendant aussi long lui avait appris l’usage. » Il eût été perdu sans retour, si l’affection que lui avait vouée Monsieur n’eût été assez forte pour résister aux suggestions calomnieuses et pour faire du prince le gardien vigilant, quoique silencieux, de l’honneur et des intérêts de son ami. Mais déjà cette affection élevait devant d’Avaray un mur d’airain ; toutes les flèches de la favorite allaient s’y briser et la favorite elle-même, le jour où, par ses imprudences et sa conduite désordonnée, elle aurait contraint d’Avaray, soucieux avant tout de l’honneur de son maître, à lui ouvrir les yeux sur l’indignité de la femme qui, si longtemps, avait tenu tant de place dans sa vie.

Chassés de Coblentz, en 1792, par la défaite des alliés et la marche victorieuse des armées de la République, le Comte de Provence et le Comte d’Artois s’étaient, au commencement de 1793, réfugiés à Hamm en Westphalie. D’Avaray y avait suivi son maître. Quant à Mme de Balbi, dès le début des hostilités, elle était partie pour Bruxelles où les émigrés qui s’y trouvaient en grand nombre menaient joyeusement l’existence. Etourdie par le fiévreux déchaînement de leurs bruyans plaisirs, elle y avait promptement oublié ses malheurs, ceux de son pays, voire les convenances que lui commandait la faveur dont l’honorait Monsieur, et conçu « une folle passion » pour un brillant gentilhomme de dix ans plus jeune qu’elle, portant un nom illustre, réputé par ses succès auprès des femmes, qu’il devait à la diversité de ses agrémens personnels. Après quelques tentatives de résistance, il était devenu « en rougissant pour la première fois