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réaliser la prophétie du comte d’Avaray, celui-ci apparaît toujours comme son conseiller, souvent comme son inspirateur et pour tout dire son complice. C’est la conséquence des sentimens qu’il avait conçus pour lui. Aussi convient-il, avant d’aller plus loin, de dessiner le portrait de ce fidèle partisan de sa cause, celui des courtisans de son exil qui lui a prodigué le plus de zèle désintéressé, celui aussi qu’il a jusqu’au bout préféré à tous les autres, aimant à être guidé, conseillé, approuvé par lui et ne lui marchandant ni sa confiance ni son affection.

Depuis qu’ensemble ils s’étaient enfuis de Paris dans la nuit du 20 au 21 juin 1791, ils ne s’étaient jamais séparés. A toutes les étapes de l’exil, l’inlassable dévouement de ce rare serviteur avait revêtu un caractère héroïque. Le considérant comme un autre lui-même, ne lui cachant ni ses craintes ni ses espérances, ni ses regrets ni ses ambitions, ayant pris l’habitude de ne rien faire sans le consulter, Monsieur s’était promis, si jamais il devenait roi, non seulement de lui maintenir toute sa confiance, mais encore de la rendre éclatante et pour la bien manifester d’honorer d’Avaray de fonctions qui la légitimeraient.

Ainsi allait se développer et devenir toute-puissante sur les affaires de l’émigration l’influence de ce gentilhomme originaire du Béarn, fils d’un maréchal de camp que la noblesse de l’Orléanais avait envoyé aux États généraux et à qui, aux beaux jours de Versailles, le Comte de Provence avait accordé son amitié. Cette influence, on la verra, pendant quinze ans, s’exercer sans relâche en toutes les occasions importantes. Jusqu’au jour de sa mort, survenue à Madère en 1810, d’Avaray sera, on peut le dire, l’âme même de son prince et, pas plus que lui, il ne désespérera jamais de la restauration, jamais, malgré les catastrophes et les revers.

Au conseil, c’est toujours son opinion qui finit par l’emporter parce que c’est toujours à elle que se rallie le Roi. Chaque matin, quand il n’est pas retenu au loin par quelque mission de confiance, c’est lui qui ouvre toutes les lettres. Après les avoir lues, il envoie au Roi, dans la cassette qui les contient, le projet résumé des réponses qu’elles nécessitent ainsi que des annotations jetées en hâte sur des bouts de papier où il appelle son prince « mon cher maître, » et sur lesquels celui-ci réplique par des observations ou des réflexions familières que lui ont suggérées les dires de « son ami. » Chaque soir, avant de se mettre