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britannique ? Cependant, elle était hier encore en pleine effervescence. Le roi Edouard lui-même, dans un télégramme au maire de Hull, a qualifié l’incident d’injustifiable ; mais qui a jamais songé à le justifier ?

Heureusement, on s’est souvenu de la Convention de la Haye. Le cas en présence duquel on se trouvait est précisément de ceux où ne sont engagés, ni l’honneur, ni les intérêts essentiels des parties en cause : on pouvait en remettre l’appréciation à des tiers bienveillans et désintéressés. L’article 19 de la Convention s’appliquait ici admirablement : il prévoit l’hypothèse où les deux parties confieront à une Commission internationale le soin de fixer des faits sur lesquels elles n’auront pas pu se mettre d’accord par les voies ordinaires de la diplomatie. Ce n’est pas un arbitrage, mais les résultats seront sensiblement les mêmes : il n’est pas douteux, en effet, que l’Angleterre et la Russie s’inclineront devant l’avis de la Commission d’enquête, et que la seconde, en particulier, s’en inspirera avec une généreuse largesse dans les réparations qu’elle aura sans doute à accorder. Le jour même où les deux gouvernemens se sont résolus à recourir aux lumières de la Commission d’enquête, M. Balfour a prononcé un discours où il a maintenu le point de vue anglais, ce qui est le droit de tout plaideur ; la Commission appréciera avec impartialité et indépendance. Enfin, l’empereur Nicolas a donné spontanément à l’opinion britannique la satisfaction la plus propre à la désarmer, en décidant qu’il retiendrait à Vigo la partie de son escadre qui a été engagée dans l’incident de Hull. Il est difficile de pousser plus loin l’esprit de conciliation. Quant à la France, alliée de la Russie et amie de l’Angleterre, elle a mis ses bons offices au service de l’une et de l’autre : elle a agi avec activité, avec efficacité. Le discours de M. Balfour, les nouvelles venues de Saint-Pétersbourg, la prudence des deux gouvernemens anglais et russe permettent d’espérer que le cap dangereux est définitivement franchi. Mais on a pu voir, une fois de plus, à quel fil fragile la paix du monde est attachée.

FRANCIS CHARMES.
Le Directeur-Gérant,
F. BRUNETIÈRE.