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ainsi ; on voit tout de suite à qui on a vraiment affaire ; on reconnaît que MM. Etienne, Sarrien et leurs groupes ne sont que des utilités dans la majorité. Et qu’aurions-nous à attendre d’eux s’ils renversaient le cabinet et s’ils prenaient sa place ? Ils annoncent qu’eux aussi feraient la séparation. La feraient-ils mieux ? Les circonstances y seraient-elles plus favorables ? M. Deschanel y trouverait-il plus de garanties ? Rien n’est moins probable. Si nous souhaitons la chute de M. Combes, sans nous faire illusion sur le lendemain, c’est surtout parce que la longévité de son ministère encourage les pires défaillances, et qu’il serait conforme à la justice immanente des choses de voir partir un homme qui a tout sacrifié, la dignité du gouvernement, l’honneur de l’armée, la sécurité du pays, au vulgaire désir de rester.

L’épisode de Hull a causé au monde entier une surprise pénible dont il n’est pas encore revenu ; mais si ce sentiment a été éprouvé quelque part avec une intensité plus grande que partout ailleurs, c’est certainement en Russie. Après quelques jours d’inquiétude, la modération de l’empereur Nicolas et la sagesse du gouvernement anglais ont acheminé l’incident vers un dénouement acceptable pour tout le monde. On a décidé la réunion d’une commission internationale d’enquête qui éclaircirait les faits, car ils sont obscurs. En vérité, nous en savons peu de chose.

Une flottille de pêcheurs anglais était à Hull, dans la mer du Nord, lorsque est survenue l’escadre russe de la Baltique se rendant en Extrême-Orient. C’était la nuit. Il est infiniment probable qu’on a fait aux bateaux anglais des signaux qu’ils n’ont pas compris. Quoi qu’il en soit, les Russes ont ouvert le feu, ont tué deux hommes, en ont blessé plusieurs, et, cela fait, ont continué leur route. Telle est du moins la version anglaise. La version russe, qu’on n’a connue que quelques jours plus tard, est différente. L’amiral Rodjestvensky affirme qu’il y avait deux torpilleurs japonais parmi les pêcheurs anglais : il en a détruit un et l’autre est resté jusqu’au lendemain où les pêcheurs anglais ont eux-mêmes signalé sa présence en le prenant pour un navire russe. Il exprime de vifs regrets que des vies innocentes aient été sacrifiées. Sans attendre ces explications, l’empereur Nicolas avait transmis directement au roi Edouard l’expression de ses propres regrets : il avait ajouté que toutes les satisfactions et réparations seraient données dès que les faits seraient éclaircis. Ne semble-t-il pas que ces démarches spontanées et empressées de l’empereur et de son gouvernement auraient dû apaiser la surexcitation de l’opinion