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pour se défendre de toute initiative propre. — A quoi bon, dit M. Combes, rédiger moi-même un projet puisqu’il y en a déjà un et que j’en approuve les dispositions générales, me réservant d’y introduire quelques amendemens ? Ce serait de la peine inutile ! Ce serait du temps perdu ! — Ce raisonnement paraît plausible au premier abord ; mais, à la réflexion, on s’aperçoit qu’il détruit la responsabilité collective du cabinet. Un projet de loi gouvernemental, après avoir été délibéré en Conseil, porte la signature des ministres compétens et celle du Président de la République. Il est donc le résultat d’un accord rendu manifeste entre tous les membres du gouvernement. Est-ce que cet accord n’existerait pas ? Est-ce qu’il serait impossible de l’obtenir ? On le croirait à voir la ténacité avec laquelle M. le président du Conseil, malgré l’insistance des deux groupes numériquement les plus importans de sa majorité, se refuse à leur donner satisfaction. A aucun prix, il ne veut présenter un projet personnel. Tout ce à quoi il a consenti jusqu’à présent, c’est à donner à la commission, oralement et à la rigueur par écrit, « des indications précises » sur la manière dont il conçoit la séparation et dont il entend l’accomplir. Il faut bien croire que cette obstination a une cause : nous en avons indiqué une première ; en voici une seconde. Les socialistes, ayant pris l’initiative de la réforme, entendent en conserver jusqu’au bout la propriété exclusive : c’est la seule propriété dont ils combattent la collectivité. Ils ne veulent pas la partager, même avec le gouvernement. Aussi ont-ils poussé dans leurs journaux des cris furieux lorsqu’ils ont vu se produire la prétention des autres groupes. L’Union démocratique, la Gauche radicale avaient beau demander à M. Combes de déposer un projet de loi, M. Jaurès lui interdisait de le faire. Entre M. Etienne et M. Sarrien d’un côté, — même flanqués de M. Barthou, qui leur a apporté son concours, — et, de l’autre, M. Jaurès et M. Briand, que vouliez-vous que fît M. Combes ? Il a obéi à M. Jaurès. Au fond de cette querelle, qui n’est pas de pure forme, il s’agit de savoir à qui appartiendra la direction de la majorité. Sera-ce aux socialistes, comme par le passé ? Sera-ce aux radicaux ? M. Combes se prononce pour les premiers : que feront les autres ?

Attendons des « indications précises, » puisque M. Combes ne veut pas donner autre chose. Laissons-le emboîter le pas derrière M. Briand, lieutenant fidèle de M. Jaurès. Assurément cette attitude n’est pas digne d’un gouvernement ; mais que nous importe la dignité du gouvernement actuel, et, s’il ne se respecte pas lui-même, est-ce à nous de nous en offenser ? Les choses sont beaucoup plus claires