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attention distraite. La rupture c’est le passé ; la séparation c’est l’avenir. Tous les orateurs soucieux de répondre aux préoccupations actuelles de la Chambre et de l’opinion ont traité de la séparation. Le débat a été ouvert très brillamment par M. Paul Deschanel : il ne sera pas fermé de sitôt.

M. Deschanel n’était pas monté à la tribune depuis plus de six ans. Au cours de la dernière législature, il avait été élu et réélu d’année en année président de la Chambre : depuis, il s’était tu. On a reconnu tout de suite que l’orateur était non seulement resté en possession de toutes ses ressources, mais qu’il était en progrès sur lui-même. Sa parole n’avait rien perdu de son éclat et avait gagné en fermeté et en autorité. Nous le constatons d’autant plus volontiers que, sinon sur la thèse que soutient M. Deschanel, au moins sur l’opportunité de la soutenir, nous avons des réserves à faire. Elles ont été faites, d’ailleurs, dès le lendemain par M. Ribot, et M. Deschanel a heureusement interprété son discours par son vote. Le discours était favorable à la séparation de l’Église et de l’État ; le vote a été contraire à sa réalisation immédiate.

Était-ce une contradiction ? Point du tout ; mais on a pu le croire à voir l’ardeur éloquente avec laquelle M. Deschanel avait poussé à la réforme et avait conseillé à ses amis d’en prendre eux-mêmes l’initiative, à l’exemple de ces conservateurs anglais, qui ont accompli plus d’une fois les réformes demandées et préparées par leurs adversaires, et en ont attribué à leur parti l’avantage moral pendant que le pays en recueillait les profits. L’exemple est séduisant ; mais il peut conduire à des déceptions. Les conservateurs anglais ont assez souvent, en effet, réalisé une réforme lorsqu’elle était mûre et que le pays la demandait : ils ont eu alors l’intelligence de comprendre qu’il y avait là un besoin à satisfaire, et ils l’ont satisfait. Mais, chez nous, il s’agit précisément de savoir si la séparation de l’Église et de l’État est un fruit mûr, et si le pays est pressé de le cueillir. Or, sur ce double point, nous avons plus que des doutes. Comment pourrait-il en être autrement ? M. Combes lui-même, qui accepte aujourd’hui la séparation de l’Église et de l’État avec une audace imprévue, déclarait, il y a un an, que le pays n’en voulait pas et qu’on ne pourrait pas la faire sans compromettre la République. Il en était partisan en principe ; oui, sans doute ; mais on sait ce que cela veut dire. Presque tous nos hommes politiques ont pris l’habitude, depuis quelques années, de se déclarer partisans en principe des réformes dont ils ne veulent pas en pratique et qu’ils ajournent, espérant ainsi satisfaire tout le monde. Ce n’était