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laissaient des doutes dans les esprits. Ils sont aujourd’hui dissipés. M. Guyot de Villeneuve a apporté à la tribune tout un dossier, un formidable dossier dont il a donné lecture. Combien avait-il de lettres entre les mains ? Nous ne saurions le dire. La lecture durait, durait toujours, devant la Chambre indignée, devant le ministère atterré. D’où lui venaient ces documens ? Comment étaient-ils entre ses mains ? Peu importe : la seule question était de savoir s’ils étaient authentiques, et personne n’en a douté. Il en ressort avec évidence qu’il y a depuis longtemps entre le cabinet du ministre de la Guerre et le Grand-Orient de France les rapports les plus intimes. Le second fournit des renseignemens sur les officiers ; le premier y conforme ses choix. Tout cela se fait comme la chose la plus naturelle, avec cynisme, presque avec naïveté. Mais quand on songe combien de passe-droits ont été commis, combien d’injustices perpétrées, combien de carrières brisées, pour obéir à la plus basse, à la plus vile et quelquefois à la plus ridicule délation, il en vient au cœur une véritable nausée de dégoût. On voulait des preuves, on en a eu à satiété. Le discours de M. de Villeneuve ne se composait pas d’autre chose. Aussi jamais discours n’a-t-il paru plus éloquent. Qu’a répondu M. le ministre de la Guerre ? Il a demandé un délai pour contrôler les allégations de M. de Villeneuve, comme s’il ne savait pas qu’elles sont exactes. Il a assuré d’ailleurs qu’il réprouvait les « agissemens » qui venaient de lui être dévoilés, et qu’il en ferait justice. Cela veut-il dire qu’il sacrifiera quelques sous-ordres ? C’est à lui, à lui seul que revient la responsabilité, ou plutôt à tout le gouvernement avec lui, et ils ne s’en relèveront pas. Le déshonneur qu’ils ont infligé à l’armée retombera sur leurs têtes. Certes ! La lecture de M. de Villeneuve causait à ceux qui l’entendaient une impression douloureuse. On peut prévoir celle qu’elle produira sur le pays, celle aussi qu’elle produira sur l’étranger. De pareilles exécutions sont cruelles, mais elles sont nécessaires. Il faut parfois qu’il y ait du scandale, mais « malheur à celui par qui le scandale sera fait ! » Il a été fait cette fois par M. le général André et par M. Combes, auteurs ou complices de ces nouveaux procédés de gouvernement. Pourquoi faut-il que la honte en rejaillisse sur la République elle-même ?

La Chambre en a pris sa part ; qu’elle la garde ! M. le général André ayant demandé un sursis, l’a obtenu. Mais la partie de l’ordre du jour qui exprimait la conviction qu’il donnerait des sanctions au sentiment de la Chambre n’a été votée que par 278 voix contre 274. Si c’est un succès pour le gouvernement, il est tout juste digne de lui et de sa