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rêvait pour elle. Avec leur alternance régulière de mouvemens lents et vifs, toujours maintenus dans le style contrapontique le plus rigoureux, sa sonate de 1695 et toutes celles qu’il avait publiées ensuite (y compris même celles où il avait prétendu raconter des épisodes de l’Ancien Testament), n’avaient encore été, au total, que des adaptations pour le clavecin de l’ancienne sonate de violon, telle que la pratiquait, à la même époque, le profond génie poétique d’Arcangelo Corelli. Et c’était seulement une dizaine d’années plus tard que les musiciens, sous la poussée sans cesse plus forte du goût public, avaient essayé de créer vraiment une forme nouvelle qui, en distinguant tout à fait la sonate de la suite, lui permît de mieux atteindre l’objet entrevu déjà par le vénérable Kuhnau.

De cette forme nouvelle un des traits principaux avait été, tout de suite, une tendance bien marquée à s’affranchir des liens trop étroits du contrepoint scolastique. Car l’Europe entière, à cette date, commençait à éprouver le double besoin d’une musique qui « chantât » et d’une musique qui, pleinement, franchement, exprimât les nuances des émotions du cœur : et il faut bien reconnaître que le contrepoint traditionnel, sauf quand il était manié par la main souveraine d’un Haendel, d’un Sébastien Bach, ou d’un Corelli, n’avait guère de quoi répondre à ces deux désirs. Restait à savoir, en vérité, si à ce contrepoint fatigué on ne pouvait pas en substituer un autre, d’allure plus spontanée et d’effet plus profond, un contrepoint « expressif » et « chantant » tout ensemble, qui utiliserait toutes les ressources formelles de la musique pour" produire la plus grande somme possible de beauté musicale : c’était là un problème qu’allait se poser bientôt Wolfgang Mozart, et que toute sa vie désormais il allait s’efforcer de résoudre, avant d’aboutir enfin à ces miracles de chant polyphonique qu’allaient être les œuvres de ses dernières années. Mais, à l’époque où naissait la sonate de clavecin, ni les compositeurs ni le public n’avaient l’idée d’une pareille transfiguration du vieux contrepoint. Tout « style fugué » les importunait ou les effrayait ; tout moyen leur paraissait bon pour échapper à une contrainte trop longtemps subie. Encore se résignait-on à la subir dans les suites, les toccatas, les morceaux de science ou de pur agrément ; c’est dans la sonate, surtout, que l’on exigeait une langue nouvelle, plus « chantante, » ou, en tout cas, plus « parlante, » que l’ancienne. Ainsi, d’année en année, et du