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en bibelots amusans ou précieux, et des surprises de son parc, qui déjà commençait à se remplir de pavillons imprévus, de grottes avec des échos les plus drôles du monde, de fontaines ornées d’allégories instructives, de labyrinthes touffus où c’était une joie de se perdre[1]. Plus varié dans son agrément que les jardins d’Hellbrunn, plus élégant et de meilleur goût que ceux de Nymphenbourg, le parc de Schwetzingen n’a pu manquer de ravir le petit Wolfgang ; et cela d’autant plus que, dès lors, un des résultats du voyage avait été de rendre pour toujours, au petit garçon, la gaîté, l’entrain, la curiosité que, d’abord, la poursuite exclusive de la musique avait chez lui un peu étouffés. La musique continuait bien à le passionner ; mais à côté d’elle, il recommençait à chercher d’autres causes de plaisir ou de distraction. « Notre Wolfgang est d’une gaîté tout à fait extraordinaire, mais aussi très diable (schlimm), » écrivait Léopold Mozart le 20 août 1763. Tout l’amusait, de ce qu’il rencontrait sur sa route ; et il gambadait, il riait, il ne cessait point d’inventer de nouveaux jeux, avec cette humeur naïvement espiègle qui, héritée peut-être de sa mère ou peut-être encore de l’atmosphère natale de Salzbourg, allait désormais résister chez lui à toutes les épreuves de la destinée. Tous les soirs, quand on l’avait mis dans son lit, il ordonnait à son père de s’asseoir près de lui, et de chanter la basse d’un air dont il chantait lui-même la première partie : d’un gentil petit air qu’il avait composé, à cette intention, sur d’étranges paroles à désinence italienne : Oragna figata fa marina gamina fa. Et sa sœur, qui nous a conservé la musique de cet air, nous raconte aussi que, « comme les voyages de la famille Mozart à travers l’Allemagne les conduisaient de jour en jour dans des principautés différentes, Wolfgang avait imaginé un royaume fantastique ; c’était lui qui en était le roi, et le courrier (Winter), qui savait un peu dessiner, avait eu à dresser une carte de ce royaume, avec toute sorte de noms de villes, bourgs et villages, que Wolfgang lui dictait. » Toute son âme, maintenant, s’était rouverte à la vie ; et le bonheur qui rayonnait d’elle était si pur à la fois et si chaud qu’il avait fini par fondre même le cœur infiniment plus sec et plus froid de Marianne Mozart. Les lettres du père, en effet, nous laissent deviner que la jeune fille n’avait pas été

  1. La machine des eaux, notamment, avait été installée à Schwetzingen l’année précédente.