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et cantatrices excellens, ainsi que le premier flûtiste de l’Allemagne, le fameux Wendling ; mais surtout cette mémorable soirée lui permit de faire connaissance avec un instrument qui, bien plus que la flûte, et que l’orgue même, devait désormais l’émouvoir, captiver à la fois son cerveau et son cœur : l’orchestre symphonique. Nulle part en Allemagne, nulle part au monde, il n’y avait alors un orchestre comparable à celui qu’avait formé à Mannheim l’électeur palatin. « Rien que des jeunes gens, écrit Léopold Mozart, mais tous de bonnes mœurs, ni joueurs ni buveurs ; si bien que leur conduite n’est pas moins estimable que leurs productions. » Singulière façon, assurément, d’apprécier un orchestre : mais cela signifiait que ces jeunes musiciens de Mannheim, du fait même de leur jeunesse, et de la sévère discipline où ils étaient tenus, avaient pris l’habitude de subordonner leurs talens individuels à l’effet de l’ensemble, rompant ainsi avec une des plus fâcheuses traditions des orchestres italiens ; et l’admirable chapelle de Jomelli, à Stuttgart, avec l’assemblage de tous ses virtuoses, n’aurait pas pu apprendre à Mozart ce que lui apprirent, à Schwelzingen, ces jeunes gens anonymes. Comme son père, l’enfant dut sentir là, confusément mais profondément, que la vie et la beauté de cet organisme que constituait un orchestre étaient, pour une forte part, affaire de morale : encore que cette morale ne consistât pas seulement, en vérité, à s’abstenir de jouer ou de boire, ni à avoir des mœurs plus sages et une tenue plus convenable que celles de la plupart des confrères de Léopold Mozart dans la chapelle du prince-évêque de Salzbourg ! Et entre toutes les leçons de ce voyage, vraiment providentiel, de 1763, peut-être n’y en avait-il pas qui fût destinée à porter plus de fruits que celle-là : puisqu’en effet la vie entière de Mozart, depuis les premières symphonies de Londres jusqu’à l’ouverture de la Flûte enchantée, va nous montrer une suite continue d’efforts pour réaliser, sans cesse plus pleinement, cette vivante et décisive unification de la grande voix de l’orchestre.

Mais cette belle journée du 18 juillet n’avait pas eu à lui offrir uniquement des leçons. Et si, comme l’écrivait, le lendemain, Léopold Mozart, « tout Schwetzingen avait été émerveillé des deux enfans, » bien davantage encore, sans doute, les deux enfans durent être émerveillés de Schwetzingen : de la splendeur de son château, à peine moins fourni que la résidence de Munich