Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 24.djvu/209

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

deux étaient de petits relieurs, ne pouvaient guère être comptés dans cette catégorie. Il se plaint aussi de ce que, à Augsbourg, les concerts qu’il a organisés « n’aient eu pour auditeurs que des luthériens : » ce qui signifie que ses parens, les amis de ceux-ci, et, en général, toute la petite bourgeoisie catholique dont ils faisaient partie, se sont tenus à l’écart, faute probablement d’avoir trouvé chez lui l’affectueuse sympathie qu’ils avaient attendue. Au reste, lorsque Wolfgang, en 1777, reviendra à Augsbourg avec sa mère, il sera tout surpris de rencontrer là des cousins et des cousines de son âge dont c’est à peine si, jusqu’alors, il aura soupçonné l’existence. Et nous savons enfin que, au lieu d’aller demeurer chez ses frères, ou dans leur quartier, à l’auberge de l’Agneau, par exemple, — qu’il devait recommander plus tard à son fils, — Léopold Mozart a cru devoir s’installer à l’autre bout de la ville, dans cette somptueuse hôtellerie des Trois Maures qui, reconstruite en 1722 avec un luxe princier, reste aujourd’hui encore un des monumens les plus « riches » d’Augsbourg. Je crains même que son séjour de deux semaines dans sa ville natale n’ait eu surtout pour objet de montrer à ses compatriotes quelle « personne de distinction » il était devenu. Et par-là s’explique le bref passage où il résume ainsi toutes les impressions emportées de ce séjour : « Augsbourg m’a retenu longtemps, et m’a peu profité, car tout y est affreusement cher. »

Pour le petit Wolfgang, en revanche, ce séjour dans l’antique cité impériale ne doit pas avoir été tout à fait sans « profit. » J’oserai l’affirmer : c’est à Augsbourg qu’a commencé pour Mozart, par-dessus la grâce un peu menue du goût salzbourgeois, l’initiation à la grande et libre beauté italienne. Car d’abord, de ce que la plupart des lettres qu’on a de lui ne parlent guère que de musique, on se tromperait fort à conclure qu’il ait été indifférent aux autres formes de l’art. Il avait, dans sa grosse tête, un cerveau d’une santé, d’un équilibre parfaits, comme d’ailleurs sa musique suffit à nous le prouver, avec cette plénitude d’humanité qui en est peut-être le trait le plus distinctif. Ses yeux étaient aussi avides de percevoir les lignes et les couleurs que ses oreilles d’entendre les sons ; et, sous tout cela, un esprit constamment en éveil, frémissant tout entier aux moindres impressions. Sa sœur, sa femme (dans le livre de Nissen), s’accordent à nous dire qu’en voyage il regardait tout, s’intéressait à tout, apportait à mille sujets divers la naïve et ardente curiosité d’un enfant. Comment