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absolu du gouvernement, est de l’appliquer, aux employés comme aux employeurs, aux inscrits maritimes comme à l’armement.


VI

Au surplus, ce n’est pas seulement contre les inscrits que le gouvernement a refusé d’appliquer la loi. Par ses procédés de pression, par l’exercice ininterrompu des mises à l’index[1], par les incessantes ruptures des contrats de travail, par l’emploi chaque jour plus audacieux de tous les moyens d’intimidation sur ses propres membres comme sur les ouvriers non syndiqués, l’Union syndicale, qui englobait à Marseille les ouvriers des corporations les plus diverses, était ouvertement sortie des limites où la loi de 1884 a voulu contenir l’action des syndicats. Les pouvoirs publics avaient le devoir d’inviter cette action, et au besoin, de l’obliger, à se cantonner strictement dans les limites de la légalité. C’est précisément ce que le gouvernement ne pouvait faire sans être infidèle à sa clientèle électorale.

Il y a dans la loi de 1884 un article 3, aux termes duquel les syndicats professionnels ont exclusivement pour objet l’étude et la défense des intérêts économiques, industriels, commerciaux et agricoles, et un article 9 qui édicté diverses peines, entre autres la dissolution, dans le cas où les syndicats s’écartent de leur objet. Il est possible, et cela paraît assez bien établi aujourd’hui, que le législateur n’ait délimité qu’en des termes trop vagues le champ où pouvait s’exercer l’action syndicale. C’est à cause de cette imprécision que, ce qui dans la pensée des auteurs de la loi devait être un instrument d’association libre, de rapprochemens volontaires, d’initiatives fécondes en bienfaisans résultats, de paix sociale, est devenu un instrument de lutte déloyale contre les patrons, de tyrannie insupportable sur les ouvriers eux-mêmes, une arme destructrice du libre arbitre. Et l’organisation syndicale est devenue tout cela parce qu’on en a fait avant tout une organisation électorale, dans la dépendance de laquelle se trouve de toute nécessité un gouvernement allié au socialisme.

Les syndicats ouvriers prétendent s’imposer comme uniques dispensateurs de la main-d’œuvre, intermédiaires obligatoires entre les chefs d’industrie et les salariés. En face d’eux, les

  1. L’emploi des mises à l’index tombe directement sous l’action des articles 414, 415, 416, du Code pénal.