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capitaines n’avaient plus aucune autorité. La discipline n’existait plus. Les mises à l’index sur les navires et sur les chantiers l’avaient tuée. Les armateurs et les compagnies attendaient vainement qu’une intervention des autorités compétentes fît tout rentrer dans la légalité. Les incidens les plus graves se multipliaient à Marseille. Il suffira de rappeler, sans les exposer en détail, quelques-uns des plus caractéristiques, ceux de l’Abd-el-Kader, de l’Amphion, du Magali. Ils ont été relatés dans la Revue à mesure qu’ils se produisaient. Ils présentent, sous leur diversité, ce caractère commun qu’ils procédaient tous du même esprit d’indiscipline. Les officiers donnaient des ordres. Le représentant du syndicat des inscrits enjoignait aux équipages de ne point obéir. Les patrons, pour avoir la paix, débarquaient les officiers qui « se faisaient des affaires. »

Après le déplacement d’un de ces officiers, le capitaine en second de l’Abd-el-Kader, le secrétaire du syndicat des inscrits, M. Rivelli, exprima ses intentions et celles de ses amis en ces termes peu voilés : « Les officiers veulent garder pleines et entières les prérogatives infâmes que les lois iniques leur conservent ; nous combattrons sans merci contre les lois et contre les officiers jusqu’à ce que les lois aient disparu, et que les officiers aient revêtu des sentimens plus humains. »

Les équipages s’exerçaient donc à la nouvelle méthode et travaillaient avec entrain à « discipliner » leurs chefs, lorsque ceux-ci résolurent de ne pas se prêter plus longtemps à une telle interversion des rôles.

S’il est un fait absolument incontestable, c’est que la condition essentielle, nécessaire, non seulement du succès, mais de l’existence même, dans l’industrie de la navigation de commerce, est la garantie d’une discipline parfaite à bord et sur les chantiers. Cette discipline n’existant plus, et le gouvernement se tenant strictement à l’écart, enjoignant même à ses agens de l’administration de la marine de n’entraver en aucune façon les agissemens du syndicat des inscrits, les états-majors des équipages, sachant qu’ils étaient en pleine communauté d’idées avec leurs patrons, les armateurs et les compagnies se souvinrent du proverbe si français : « Aide-toi, le ciel t’aidera ! » que nos amis les Russes pratiquent et expriment en des termes presque identiques : « Prie Dieu, mais ne t’endors pas ! » Après s’être concertés avec l’association fédérative des capitaines au long cours et