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service. L’idée de Colbert il y a deux cents ans, comme l’idée de la Constituante en 1790, comme aussi l’idée de nos législateurs en 1896, a été d’assurer à notre flotte la disposition, en tout temps, d’un personnel de marins éprouvés… et disciplinés. Grâce au monopole concédé aux inscrits, la marine marchande forme dès leur jeunesse ces marins, elle les donne à l’Etat pendant la période d’épanouissement de leur vigueur, les lui reprend quand il n’a plus d’eux un besoin immédiat, les lui conserve, prêts et exercés, pour les grandes éventualités. Mais, s’ils ne sont plus disciplinés, il est clair que le but visé ne serait pas atteint.

Pour que la marine marchande puisse jouer ce rôle, dont l’utilité est si manifeste au point de vue des intérêts de la défense nationale, pour qu’elle puisse rendre à l’Etat le service que celui-ci attend d’elle, il faut qu’elle soit privée de la faculté de recruter à son gré ses équipages indistinctement parmi les Français et les étrangers désirant servir sur ses bateaux. La loi lui enjoint donc de n’embarquer, dans une proportion déterminée, que des inscrits, afin que ceux des inscrits qui ne veulent point exercer l’industrie de la pêche ni rester à terre, soient assurés de trouver une occupation lucrative dans la navigation de commerce, afin aussi que le plus grand nombre des inscrits ne perdent point l’habitude de la mer qu’ils ont contractée au service actif, afin qu’ils soient toujours en état de reprendre leur rang dans les équipages de la flotte, si un jour la patrie menacée venait à les y rappeler.

La possession de ce monopole, on le voit sans peine, constitue par elle-même une différence catégorique entre l’inscrit maritime naviguant pour le commerce et l’ouvrier employé dans toute autre industrie. Elle équivaut pour l’un à une protection directe qui fait défaut à l’autre, la protection contre la concurrence.

Tant d’avantages n’ont pas été concédés aux inscrits maritimes, sans que naturellement certaines obligations leur soient imposées, formant en quelque sorte la contre-partie du traitement privilégié dont ils sont l’objet. Quelques-unes de ces obligations sont d’ordre permanent, et suivent l’inscrit pendant toute sa vie d’inscrit, comme la nécessité de faire connaître en tout temps à l’autorité son lieu de séjour ou ses déplacemens. D’autres naissent seulement le jour où il signe un engagement d’embarquement, soit pour la pêche, soit pour le commerce.