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1884 sur l’organisation syndicale donne à tout travailleur de refuser son travail. Dans un cas comme dans l’autre la cessation brusque de travail est le plus souvent synonyme de rupture d’un contrat de travail. Mais c’est la question de savoir si le cas de rupture du contrat de travail est le même pour l’inscrit maritime que pour l’ouvrier ordinaire.

Le seul terme d’« inscrit maritime » suffirait à indiquer que le cas est différent, et que le marin, soumis à l’inscription maritime, ne peut pas être, n’est pas un ouvrier ordinaire, ne peut pas, comme un ouvrier ordinaire, se mettre en grève. Un rapide coup d’œil sur la législation de l’inscription maritime et sur la situation qu’elle crée à l’inscrit dans la vie civile, permettra de discerner quelle lourde responsabilité a encourue le gouvernement en refusant d’appliquer à cette catégorie de grévistes, à des marins du commerce en état manifeste d’insubordination, les prescriptions formelles de la loi qui les concerne.


I

L’inscription maritime est essentiellement un moyen de fournir à notre marine de guerre les matelots et les ouvriers dont elle a besoin pour le service de la flotte, pour la formation des équipages de ses navires. C’est un « mode de recrutement » qui a été substitué, dans les premières années du règne de Louis XIV, par le ministre Colbert, exactement en 1669, à l’ancien système de la « presse » ou de l’enrôlement forcé. La presse donnait lieu à d’odieux abus, et à certains momens, comme cela avait eu lieu en 1665, lors d’un armement subit de la flotte royale, paralysait tout le commerce maritime en enlevant à la flotte marchande la totalité de ses équipages. Colbert imagina un système de répartition de la population maritime en « classes, » qui fut modifié à plusieurs reprises, et finalement par une loi du 27 décembre 1896, mais dont le principe n’a pas varié depuis 1669 : tous les citoyens français ou naturalisés français qui se livrent à la navigation ou à la pêche, tant en mer que sur les côtes ou dans les rivières jusqu’au point où la marée remonte, ou, à défaut de marée, jusqu’au point où peuvent remonter les bateaux de mer, doivent leur service à la marine de l’État et sont « inscrits » à cette fin sur des registres spéciaux, d’où le terme d’« inscription maritime. »