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partie avec le syndicat des « inscrits maritimes. » Les équipages à bord, les ouvriers sur les chantiers, combinaient la poursuite en efforts communs de leurs revendications respectives. Les uns et les autres voulaient un travail moins pénible et mieux rémunéré, mais de part et d’autre aussi on voulait tenir tête au patronat, traiter de pair avec lui, l’assouplir, lui imposer la loi du quatrième état, la loi du prolétariat.

Les dockers n’avaient certes pas inventé le procédé de la mise à l’index, outil redoutable d’importation étrangère, mais ils en usaient avec une audace, une brutalité, dont on avait vu peu d’exemples jusqu’alors dans nos annales ouvrières. De février à juillet de cette année, notamment, les armateurs et les directeurs d’entreprises de navigation furent accablés de sommations, suivies presque immédiatement de mises effectives en interdit[1]. Les patrons cédèrent d’abord, ce qui ne fit qu’accroître la violence de l’attaque. Un jour vint où, pour une raison quelconque, le syndicat des dockers mit la Compagnie transatlantique à l’index. Aussitôt, sur un ordre du syndicat, les équipages de trois paquebots qui étaient prêts à prendre la mer, débarquèrent sans avis préalable, abandonnant les navires, laissant là officiers et passagers. L’exemple fut suivi par tous les inscrits des autres paquebots de la compagnie et des autres entreprises d’armement à Marseille. Il ne restait plus aux compagnies qu’à désarmer.

Ainsi les marins avaient quitté le bord comme des ouvriers d’une usine quittent l’usine, alléguant le droit que la loi de

  1. La Société pour la défense du Commerce de Marseille a publié une liste énumérative, des plus curieuses et instructives, des « principaux faits de tyrannie syndicale ouvrière (grèves, mises à l’index, entraves à la liberté du travail, etc.), survenus à Marseille du 1er janvier au 1er septembre 1904. » A la page 12 de cette publication se trouve reproduite une lettre adressée le 27 avril 1904 au président du syndicat des armateurs à Marseille par M. Manot, secrétaire général de l’Union syndicale des « ouvriers des ports, docks et similaires. » Nous extrayons de cette lettre les passages suivans :
    «… Depuis bientôt huit longs jours, les dockers assistent attentivement et patiemment à la lutte que vous avez fait engager par vos capitaines contre nos frères de misère (les inscrits maritimes)… Notre corporation, marchant la main dans la main avec les inscrits maritimes, saura bien vous atteindre, le jour qu’il lui plaira de mettre un frein à toutes les méchancetés que vous employez… Demain, s’il le fallait, les inscrits sauraient se solidariser pour nous aider à nous défendre contre vos gardes-chiourme… Comme, à notre tour, nous défendrons les marins contre les mercenaires, capitaines et consorts, qui voudraient, au mépris de toutes les règles, commander en despotes, et museler des citoyens, qui, quoique de simples inscrits, ont droit aussi aux égards…