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Parmi les traits particuliers de ce « tumulte » ouvrier, l’un des plus curieux a été l’intervention des inscrits maritimes dans la bagarre. A quel titre y sont-ils intervenus ? Avaient-ils le droit d’y intervenir ? Et, s’ils ne l’avaient pas, pourquoi le gouvernement ne les a-t-il pas rappelés au respect de leurs obligations ? On sait quelles controverses a suscitées l’attitude singulière d’observateur désintéressé, de témoin indifférent, adoptée par le ministre de la marine, lorsque, d’une façon plus ou moins directe, il fut sollicité d’appliquer les rigueurs de la loi maritime commerciale à des délinquans qui n’étaient point des grévistes ordinaires, lorsqu’on lui rappela que ces délinquans venaient de se mettre très nettement, sans ambages, dans une situation qui, aux termes mêmes de cette loi, les devait faire ipso facto réputer « déserteurs. »

Rappelons en quelques mots les faits. Les inscrits maritimes, composant les équipages des bateaux de la Compagnie transatlantique à Marseille, avaient engagé avec la direction une négociation relative à des changemens qu’ils désiraient introduire dans la réglementation du service à bord pour le personnel des paquebots et au paiement des heures de travail supplémentaire. La réglementation actuelle reposait sur un contrat conclu en 1900, que compagnies et équipages s’accusaient mutuellement d’avoir violé. Les pourparlers suivaient leur cours entre le syndicat des inscrits et les représentans de la Compagnie, lorsque les « dockers » entrèrent en scène. Les dockers, ouvriers des ports et quais, déchargeurs, constituent, à Marseille, une corporation ouvrière des plus remuantes. Ils s’étaient déjà mis en grève un nombre de fois difficile à calculer, depuis 1900, et avaient aussi obligé à se mettre en grève à leur tour leurs patrons directs, les entrepreneurs, qui se chargent des travaux de manutention ou de manipulation des marchandises sur les quais, réclamés par le commerce. L’exercice de la grève, est en effet, comme le fit judicieusement remarquer un jour le directeur d’une grande société marseillaise, un droit légal qui appartient aussi bien aux entrepreneurs qu’à leur personnel.

Les ouvriers des ports sont organisés en syndicats multiples, ayant chacun leurs chefs et agissant plus ou moins indépendamment les uns des autres. Mais ces groupemens sont fédérés et laissent volontiers la direction de leurs mouvemens au syndicat international des dockers, qui centralise l’action ouvrière. Dans les premiers mois de 1904, le syndicat international avait lié