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Une nuit d’été, sous une chaleur torride, je suivais, dans la campagne de Pise, un long convoi funèbre mené par des pénitens. La torche à la main, ils allaient, psalmodiant d’indistinctes prières, et mettant, sur le chemin, une double rangée de petites étoiles. De temps en temps, importuné par la résine ou la cire qui coulait, l’un d’eux secouait sa torche sur l’herbe séchée par un mois d’été sans pluie. Et l’herbe prenait feu. Le feu gagnait de touffe en touffe, et bientôt nous cheminâmes entre une double haie de flammes courtes, dans la nuit.

Ainsi, en célébrant les morts de leur temps, les Maîtres de la sculpture funéraire ont jalonné en traits de flamme la route qu’a suivie l’humanité. Cela fut bien involontaire. Pas plus que ces pénitens ne voulaient tracer dans la campagne une voie lumineuse, ces artistes, les Rossellino, les Donatello, les Jean Goujon, les Michel-Ange n’ont prétendu figurer, à nos yeux, l’évolution des sentimens humains. Ils n’ont songé qu’à secouer leur torche sur la route. Mais à la lueur qu’ils ont faite, nous pouvons nous guider encore et tenter de retrouver les chemins qu’ils ont suivis.


ROBERT DE LA SIZERANNE.