Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 24.djvu/162

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tenir de montrer tout son savoir-faire, de chanter son air de bravoure. Celui qui sait tout sur les plis a envie de dire tout ce qu’il sait, même lorsque le souci d’une impression funèbre l’inviterait au silence. Il ne s’agit pas, ici, de ces coussins, ces toilettes, ces rideaux, ces dentelles, ces cravates, pratiqués dans le marbre au Campo Santo de Gênes ou à celui de Milan. De telles choses ne peuvent être citées parmi des œuvres d’art. Mais il y a une stèle funéraire de David d’Angers, qui peut servir d’exemple. Sa reproduction est au musée des moulages du Trocadéro. C’est le monument du comte de Bourcke. Une femme assise, éplorée, en un costume qui joue l’antique, est d’allure assez noble et simple. Malheureusement, l’artiste a voulu montrer son adresse à plisser un tissu. Ce bavard a voulu dire tout ce qu’il savait. En art, pourtant, et devant la mort, il faut savoir se taire.

L’artiste moderne l’a compris et, peu à peu, il a simplifié dans ses draperies, les mouvemens, les ondulations et les cassures. Il n’a eu, d’ailleurs, qu’à suivre la nature qui ne donne nullement l’abondance des plis enroulés et épais des Bernins, ni même, il faut le dire, l’abondance et la fluidité des plis grecs. Rude est un des derniers qui se soient encore divertis à ces rencontres pittoresques. Dans le linceul de son Cavaignac, pourtant admirable et si tragique dans sa simplicité, l’œil de pli est trop fréquent. Par réaction, sans doute, contre l’affectation des labours profonds du rococo, les cassures sont droites, les arêtes vives, les trous nombreux. On dirait un linceul de papier. Mais le mouvement d’ensemble persiste sous la multiplicité du détail. Le corps se dessine, la main gantée par le linceul se modèle, à la fois traversée, révélée et dissimulée par les plis. C’est la grande tradition qui se renoue…

Ainsi, jusque dans le détail spécifique de la draperie funéraire, nous voyons l’art peu à peu revenir à la simplicité de ses premiers essais. La statue se recouche et s’endort sur la pierre nue, à peine plus dégagée de la tombe qu’elle ne Tétait dans la vieille Égypte. Le cortège qui l’entoura si longtemps, sa « mesnie » naturelle ou surnaturelle, disparaît. La sérénité, le calme antique, longtemps troublés, depuis la Renaissance et les siècles modernes, renaît sur les figures de « gisans, » avec la nuance de la résignation. Et, peut-être, cette évolution de la forme en révèle-t-elle une autre plus profonde…