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grandir, comme si elles étaient projetées sur un mur en ombres gigantesques. Sur le côté gauche du monument de Philippe le Hardi, ils sont six, dont on ne voit pas la figure et trois qui, peut-être, n’en ont pas. A ses pieds, il y en a quatre, dont les traits restent cachés ; il y en a huit sur le côté droit de Jean sans Peur. Ce sont les plus « pleurans » de ces « pleurans, » et les plus tragiques. Tantôt, le pli tombe des yeux comme un flot de larmes ; tantôt, il se rebrousse et se ramasse comme un froncement de sourcils ; tantôt, il glisse en tournoyant jusqu’à terre comme une plume qui se pose ; tantôt, il s’évase et demeure suspendu comme une cloche ; tantôt, il se modèle sur le corps comme un gant, et tantôt, il le cache comme un bouclier, ou il se creuse et se ferme comme une poche, ou il se replie, s’aplatit et se tasse en zigzags, ou il traverse toute la draperie en diagonale et ceint le corps comme un baudrier. L’artiste a signifié les plus intenses expressions de l’âme sans sculpter de figures ni de membres. Il a réduit tout le corps humain à une seule chose : le geste ou l’attitude, — ce qu’a rêvé de faire M. Rodin, dans son Balzac, — et ce qui, si médiocre que soit le résultat, est une belle intention de synthèse.

Si le pli antique révèle toute l’académie, et si le pli monacal du moyen âge révèle le geste, que fait le pli creusé dans le marbre ou modelé pour le bronze par les artistes de la Renaissance ? — Il se révèle lui-même et n’a d’autre objet que sa propre beauté. Les paquets figurés sur le genou de Moïse le prouvent, et, mieux encore, les longs sillons labourées dans le bronze du manteau de Birague, au Louvre, et les gros bouillons que fait l’étoffe de sa traîne, comme l’eau dans le sillage d’un navire de haut bord. L’œuvre de Germain Pilon est caractéristique. Le pli est admiré, ici, pour lui-même, comme une belle fourrure, comme un beau faisceau de plantes décoratives, comme les bouillonnemens d’une belle cascade. Lorsqu’une lumière favorable vient aiguiser les arêtes du bronze, l’impression de force et de mouvement qu’on ressent ne tient qu’à la draperie retombante, à cette chute, à ce Niagara de plis lourds, s’épanchant en courbes quasi parallèles, selon le procédé décoratif de la répétition ou de l’accumulation, qui en centuple la grandeur.

Mais la pente est fatale qui conduit l’artiste devenu trop habile à l’affectation de son habileté. Il y glisse rapidement au XVIIe et au XVIIIe siècle. Le virtuose de la sculpture ne peut se