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cette figure ou amplification de son geste. Traitée seule : tenture, courtine, rideau, « litre, » elle devient vite une manière de trompe-l’œil, c’est-à-dire un objet d’horreur. La draperie, c’est l’éloquence de la statuaire : rien n’est plus beau, mais il faut qu’il y ait, dessous, quelque chose.

Chez les Grecs, il y a le corps humain, et, nulle part, la draperie ne l’enveloppe, ni ne le révèle mieux que dans la statuaire funéraire, peut-être parce que, dans la stèle, les figures assises, concentrées et ramassées sur elles-mêmes, plus enveloppées qu’ailleurs, sont plus emprisonnées par leurs plis. Cette science des plis qui enclosent est portée à son comble dans la stèle funéraire d’une femme inconnue, qui est au musée national d’Athènes (planche XXXI, des Grabreliefs de Conze). Assise, un coude sur une main, la tête penchée, une jambe rentrant sous sa chaise, elle est tout entière modelée par les plis de sa draperie et, de même, la suivante qui, devant elle, debout, ouvre le coffret aux bijoux. Des plis exquis, fléchissant en leur milieu comme des guirlandes, enveloppent aussi la Mynno du musée de Berlin ; de très sobres et de très fins plis glissent, bouillonnent autour de l’Hégéso du Dipylon, et si l’on examine la fameuse femme étrusque en terre cuite, la Seianti Thanunia, du British Muséum, assise sur son tombeau, soulevant d’une main son voile, de l’autre tenant son miroir, on s’aperçoit qu’un même enlacement des plis enveloppe et fait surgir toute cette figure, et qu’à leurs épaisseurs variables on peut distinguer les différens tissus dont son costume est composé. Le pli est, ici, expression, parfois voilée et parfois accentuée, du corps humain.

Le moyen âge a trouvé au pli une tout autre fonction. Quand on pouvait croire que l’antiquité en avait épuisé toutes les nuances, l’artiste gothique l’a, sans effort, renouvelé entièrement. Il ne pouvait plus en faire l’expression de la forme humaine, perdue dans les profondeurs de la robe monacale : il en fit l’expression du geste humain et, par là, ce qu’il n’avait pas été chez les Grecs, l’expression du sentiment de l’homme. C’est extrêmement frappant quand on considère les « Pleurans » du moyen âge, et, plus que tous les autres, ceux de Claux de Werwe, qui pleurent Philippe le Hardi, ou ceux de Le Moiturier, qui pleurent Jean sans Peur. C’est à peine s’ils peuvent soulever leurs lourdes robes, leurs capuchons, leurs longues manches. Mais leurs gestes prolongés par les lignes épaisses de la bure semblent