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d’âmes… » Mais toutes ces œuvres ne sont pas des tombeaux. Regardons ceux-ci, nous n’y trouverons rien de semblable… Les scènes de l’Enfer étaient bonnes pour les vivans. La vision du Paradis enveloppe les morts. Si des mystères sont représentés sur la tombe, ce sont des mystères joyeux : l’Annonciation, la Résurrection, l’Assomption. Le doge Morosini est couché dans sa gloire. Il dort ; il fait un rêve : il se voit parvenu là-haut, présenté au Christ par la Vierge et par l’archange. Tel, le cardinal de Braye, tel, Roderigo Gonsalvi, tel, l’évêque d’Albano ou le cardinal de Portugal.

Toutes ces figures sont surmontées de la vision la plus belle qui fut jamais : la réalisation de leur espérance et la conclusion de leur effort s’épanouissent au-dessus d’eux comme la fleur de leur vie. Là-haut, c’est lui-même que le doge ou l’homme de guerre ou l’évêque ou l’humaniste aperçoit in carne, ressuscité : présenté par un saint à son Dieu, — car son Dieu est ressuscité, Scio quod redemptor meus vivit. C’est pour nous, peut-être, mais ce n’est pas pour lui que l’Éternité est « douteuse. » Nous qui plaignons les hommes du moyen âge morts ainsi, sûrs que leur idéal vit et triomphe quelque part dans les cieux, pourrions-nous en dire autant à l’heure où nous nous sentons fatigués de la lutte et ne devons-nous pas, plutôt, les envier ? Lesquels, même parmi les plus forts, parmi les plus confians dans le progrès indéfini de l’esprit humain, s’en vont-ils assurés en l’avenir de l’idée qu’ils servent, de la justice qu’ils réclament ou de la beauté qu’ils annoncent et combien peuvent-ils se dire, en toute bonne foi, comme ces dormeurs sourians, la tête penchée, les mains jointes : Scio quod redemptor meus vivit ?

Ce groupement de saints, d’anges et de personnages divins autour du mort sous le portique où il repose, est une chose si simple, qu’on ne sent chez l’artiste aucun effort, aucune composition, aucun labeur. Les monumens de Leonardo Bruni par Rossellino et de Marsuppini par Desiderio da Settignano sont des merveilles d’harmonie. On ne saurait où, ni comment, retrancher une seule des figures. Ce n’est point, là, un rapprochement ingénieux fait par des architectes ou des tailleurs de marbre pour développer une thèse. C’est le geste spontané qui dresse le but auprès du voyageur fatigué, qui range les plis de son manteau, suspend sur sa tête des guirlandes, tire le rideau sur ses yeux et lui montre ce qu’il a tant cherché sur les routes