Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 24.djvu/15

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

abominables et coûteuses casernes qui, non loin de là, dominent Dieuze : il apparaît jusqu’à l’évidence que chez l’Allemand la culture des sens demeure encore barbare.


A Marsal, rien ne parle que de la France : mais une autre ville dans notre voisinage me fournissait des sensations plus lorraines. Je veux parler de Fénétrange, aujourd’hui Finstingen.

La sèche Marsal, jadis poste romain et hier poste français, peut être dite une guérite militaire. Elle n’eut jamais d’autre vie que celle des veilleurs étrangers. Mais Fénétrange est vraiment une plante de notre sol. Son activité fut tout indigène. Jusqu’en 1791, elle était le chef-lieu d’une seigneurie passablement importante. Aujourd’hui encore, assez allègre et forte dans sa déchéance, elle semble un bon arbre dru, dont les racines, à chaque saison, descellent davantage une vieille pierre tombale écussonnée.


Quand on arrive par la route de Phalsbourg, soudain, — au milieu des prairies, des saules et des sureaux où la Sarre serpente, — la dure, la guerrière, l’étrange Fénétrange se dresse comme une tour. Elle garde la discipline de son antique fossé disparu, et, sur les bords sinueux mais très nets du rond qu’elle forme dans ces beaux herbages, on distingue encore, çà et là, domestiquées pour d’humbles usages, les guérites de sa muraille. Le château, bien qu’en pourriture, écrase de sa haute masse tout le pâté confus des maisons ; ses fenêtres sont à demi bouchées de briques ignobles, mais leur style Renaissance intéresse ; ses murs sont lépreux, ils gardent du moins de beaux mouvemens et se renflent comme des poitrines ou des boucliers.

J’aime que morte, cette seigneurie tienne encore debout. Mais je goûte en vacance la volupté de m’attendrir, et si je flâne par un froid matin d’automne, — à l’heure où les marteaux retentissent sur les cuves de vendange pour assurer les douves et que les chiens aboient leur allégresse de partir pour la chasse, — je m’enchante surtout que cette petite ville avoue la faiblesse des forces dont jadis elle fut si vaine. Au Nord-Ouest, les fortifications de Fénétrange n’ont été touchées que par le temps ; sous le ciment qu’il a détaché, apparaissent de misérables pierrailles, et l’on s’assure qu’un boulet n’eût fait du tout qu’une poussière.

Cette ville, dans son rempart ruineux, c’est une petite vieille