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I

Considérons d’abord la forme du tombeau. Quand on rencontre, en voyage, les énormes monumens de Théodoric, de Cecilia Metella, de Galla Placidia ou d’Hadrien : le château Saint-Ange, on s’aperçoit que l’humanité a perdu, chemin faisant, le secret de certaines jouissances et l’idée de certains devoirs envers soi-même. Ainsi, l’idée de préparer son propre sépulcre et d’en faire un objet d’admiration et d’envie pour les autres, la joie de considérer longtemps sa propre figure, fixée pour toujours à l’âge de la jeunesse, mais dans l’attitude des morts, entourée des figures des serviteurs de la terre ou du ciel. Ce fut le grand divertissement des Pharaons ; ce fut la manie singulière des empereurs romains dilettantes, le rêve des papes les plus affairés, la préoccupation des princes ou principicules du moyen âge, entre deux batailles, et jusqu’à celle de simples particuliers, pourvus de quelque grande charge, comme messire Philippe Pot. A la vérité, il y avait, là, un sentiment tout aussi bien moderne : c’était une façon de s’élever à soi-même un monument et de prévenir l’oubli de ses contemporains ou leur ingratitude. De la sorte, un grand homme ne courait pas le risque « d’attendre sa statue, » selon la formule étrange du journalisme moderne. C’était bien plutôt sa statue qui l’attendait, longtemps parfois, patiemment, le regard levé vers le ciel, les mains jointes. Celle de Catherine de Médicis l’attendit trente ans, étendue sur le marbre, auprès de la statue admirable de Henri il : L’inscription du tombeau de Philippe Pot, aujourd’hui au Louvre, le dit assez. On n’y lit pas : « Ci-gist… » mais, le futur « Cy demorra… » Puis, sur ce livre de pierre, l’homme public écrivait son panégyrique, d’avance, ou parfois son apologie protégée par le respect de la mort. Les épitaphes étaient souvent des mémoires justificatifs et les pleurans, ou les « angelots d’alebastre, » ou les lions, des défenseurs posthumes. Depuis Chephren où Chéops jusqu’aux seigneurs de la Renaissance, malgré tout ce que l’évolution des religions ou des idées sur l’autre vie pouvait y mêler de métaphysique, le sentiment qui dicta ces monumens magnifiques était le plus simple de tous et le moins changeant du monde : la vanité.

Seulement, avec le temps, le vaniteux a trouvé, pour se