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L’ESTHÉTIQUE DES TOMBEAUX

Voici l’heure où les hommes qui ne pensent pas, d’ordinaire, se mettent à songer un peu : à ceux qui ne sont plus et à eux-mêmes. Une fois encore, aux Alyscamps d’Arles, les peupliers laissent tomber leurs feuilles d’or dans la triple rangée des tombeaux vides ; aux thermes de Dioclétien, le grand rosier s’effeuille dans le sarcophage de la chasse à l’ours. Une fois encore, à Guimiliau, l’herbe jaunit sous le calvaire, et à Avioth, à Saint-Victurnien, à Fenioux d’Oléron, les vents d’automne soufflent lamentablement à travers les « lanternes des morts. » La nature et l’Eglise s’unissent pour nous faire souvenir. L’une par son silence, par l’effacement de ses couleurs, par la disparition de tout ce qui distrait les yeux et les oreilles, nous incline à mieux écouter la fuite du temps et à mieux nous regarder vieillir. L’autre, par ses commémorations en l’honneur des amis oubliés et ses fêtes en l’honneur de la multitude des saints inconnus, nous ramène devant l’éternel objet de toute pensée et de toute philosophie. Chacun traduit ce double enseignement à sa manière. Le sage « cherche le reste de ses années, » et la foule va voir des tombes.

Si nous faisions comme elle, peut-être apprendrions-nous quelque chose, non assurément sur la mort, mais sur la vie. D’abord, sur cette vie profonde qu’on puise dans les belles œuvres d’art. Les tombeaux sont apparemment les plus anciens chefs-d’œuvre de la sculpture et, sûrement, ils en sont les derniers.