Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 24.djvu/11

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LES BASTIONS DE L’EST


I. — UN PAYS « WELCHE » SUBMERGÉ

J’ai passé le mois de septembre 1902 chez un ami d’enfance, le comte d’Aoury, dans la Lorraine annexée. C’est sur le triste étang de Lindre, auprès du promontoire boueux où les masures de Tarquimpol survivent à la ville romaine de Decem Pagi.

Bien que je sois averti sur un grand nombre de pays fameux, nul ne m’attire davantage que cette région des étangs lorrains. De deux manières, par son délaissement et par sa délicatesse épurée, elle exerce sur mon esprit une véritable fascination.

Ce qui frappe d’abord sur notre plateau de Lorraine, ce sont les plissemens du terrain : ils se développent sans heurts et s’étendent largement. De grands espaces agricoles, presque toujours des herbages, ondulent sans un arbre, puis, çà et là, sur le renflement d’une douce courbe surgit un petit bois carré de chênes, ou quelque mince bouquet de bouleaux. Dans les dépressions, l’herbe partout scintille, à cause de l’eau secrète, et l’on voit des groupes de saules argentés. Nulle abondance, mais quel goût ! La vertu de ce paysage, c’est qu’on n’en peut imaginer qui soit plus désencombré. Les mouvemens du terrain, qui ne se brisent jamais, mènent nos sentimens là-bas, au loin, par-delà l’horizon ; ces étendues uniformes d’herbages apaisent, endorment nos irritations ; les arbres clairsemés sur le bas ciel bleu semblent des mots de sympathie qui coupent un demi-sommeil. Enfin les